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La loi de 1905 est une co-fabrication entre protestants et libres penseurs

Entretien avec Jean Baubérot-Vincent qui publie le troisième tome de sa trilogie sur la Loi de séparation des Églises et de l’Etat.

 

Jean Baubérot-Vincent : « La loi de 1905 est une co-fabrication entre protestants et libres penseurs. »

 

Historien du protestantisme, professeur d’histoire et de sociologie de la laïcité, Jean Baubérot-Vincent publie le troisième tome de sa trilogie sur la Loi de séparation des Églises et de l’Etat (1). Une affaire où les protestants ont joué un rôle primordial.

 

LPL. Le tome 3 de votre trilogie sur la loi des Séparations des Eglises et de l’État est sous-titré « La Loi de 1905 n’aura pas lieu. L’église catholique « légale malgré elle ». De quoi nous intriguer.

Jean Baubérot-Vincent. J’aime mettre de la légèreté dans mon écriture. Je pense qu’on peut faire de l’histoire de manière un peu « fun ». De plus, dire les choses avec un certain humour introduit une distance critique et évite de prendre son texte pour la vérité révélée. C’est aussi une manière d’entrer dans une sorte de connivence avec le lecteur en lui disant : voilà le résultat de mes recherches mais il ne met pas un point final aux recherches. Au contraire, j’aimerais que ce travail les relance.

 

LPL. Pourquoi trois tomes plutôt qu’un seul ?

JBV. J’ai fait en sorte que chaque tome puisse être lu de manière indépendante et accessible. Dans les tomes deux et trois, le premier chapitre est un résumé du précédent. Ainsi chacun a sa propre cohérence et sa finalité. Ce dernier tome montre comment des antagonismes en apparence incompatibles ont pu être pacifiés par une stratégie qui rend l’Église catholique « légale malgré elle ».

 

LPL.  Au cours de ces dix années d’enquêtes et d’analyse sur la loi de 1905 avez-vous fait des découvertes surprenantes ?

J.B.V. Oui. Le paradoxe c’est que c’est un sujet que je croyais bien connaitre. Si j’ai entrepris l’écriture de ces trois tomes c’est parce que j’estimais qu’il y avait déjà des choses intéressantes, mais dites surtout par des historiens du catholicisme. Elles me laissaient dans une relative insatisfaction. Eux se demandaient ce qui était arrivé à l’Église catholique avec cette loi. Moi je cherchais à savoir ce qu’a fait la République en séparant les Églises de l’Etat.

J’ai d’abord été étonné par la virulence des conflits entre républicains et catholiques que j’ai trouvée dans les journaux de l’époque. La presse n’avait pas été systématiquement étudiée. Elle s’est avérée une source plus riche que mes attentes. Autre découverte : je pense que personne, avant moi, n’avait lu l’ensemble des débats parlementaires. Il y a notamment dans ce tome trois un discours de Briand qui a été salué par les socialistes révolutionnaires comme par le quotidien La Croix qui, à l’époque, est un journal d’extrême droite. À mon avis c’est le plus beau discours de Briand. Or, jusque-là personne ne l’avait cité. C’est le discours contre les victoires excessives, contre les victoires complètes. C’est le discours d’un homme pragmatique et fin politique à qui on doit peut-être d’avoir évité une déchirure nationale. Aujourd’hui on fait du Combes au lieu de faire du Briand.

 

LPL. Et des découvertes contraires à vos opinions ?

JBV. Il m’est arrivé de tomber sur des « faits désagréables » comme dit Max Weber, autrement dit des faits qui contrarient mes convictions. Par exemple, en bon protestant j’aurais trouvé plus républicain de laisser les paroisses se décider entre adhésion à la loi ou au pape. Ce travail a aussi désacralisé la figure de Jaurès. C’est un politique avec ses faiblesses. Mais c’est ainsi. C’est la différence entre le savant et le militant qui ne retient que ce qui lui convient. Le politique doit affronter les faits désagréables et garder son « sang-froid », expression qu’employait Briand dès 1904 pour dire comment traiter cette affaire face à une Église catholique considérée, à l’époque, comme très menaçante. Si j’avais voulu raconter la séparation dont je rêve ça m’aurait pris trois semaines. Ça m’a pris dix ans. C’est ce qui est passionnant.

 

LPL. Dans la préparation de cette loi, quel rôle ont joué les protestants ?

J.BV. Il faut distinguer les évangéliques, favorables à la séparation, des libéraux, plus réservés. Les évangéliques insistaient sur les professions personnelles de la foi et sur l’idée d’une Église authentique non appuyée par l’Etat. Pour les libéraux la morale chrétienne inspire et fonde la morale civile.

Aristide Briand a travaillé à partir du projet de Francis de Pressensé, fils de pasteur. Briand a ôté les aspects durs de sa proposition pour les remplacer par un autre projet, celui de Eugène Reveillaud (1843-1913) député radical franc-maçon et protestant. Les protestants comme Louis Méjean (1874-1955), fils et frère de pasteurs, conseiller de Briand et Raoul Allier, protestant, évangélique et libre-penseur, ont participé à la conception et à la fabrication de la séparation et au fait qu’elle soit libérale. Je soutiens l’idée que la loi de la séparation est une co-fabrication entre protestants et libres penseurs.

 

LPL. Aujourd’hui pensez-vous que l’Eglise protestante fasse suffisamment entendre sa voix ?

JBV. Je regrette que la manière dont on a pensé l’œcuménisme fait que le protestantisme n’ose plus dire sa différence avec le catholicisme. Notamment dans les affaires (ndlr. harcèlement, viols…) qui agitent l’Église catholique. Pour moi, la question théologique que posent ces scandales c’est la conception sacrale du prêtre. Je regrette que dans cette crise aucune voix protestante ne s’élève pour contester cette conception.

Je ne trouve pas que l’Église protestante soit assez protestante.

 

Entretien avec Jean-Michel Ulmann paru dans le n°76 de la LPL - la Lettre de Pentemont-Luxembourg, Décembre 2024

 

La laïcité en France. La loi de 1905 n’aura pas lieu. Tome III. L’Eglise catholique légale malgré elle (1905-1908)., de Jean Baubérot-Vicent, Editions MSH. 430p, 29€.