« Demain, il fera jour » par Christine Décamp
Lecture : Matthieu 6, 25-34
Mes frères et sœurs,
J’ai une bonne nouvelle pour vous : demain il fera jour !
Selon la même règle, chaque soir, le soleil se couche, il laisse place à la nuit, à la lune et aux étoiles et puis de nouveau le matin suivant, le soleil se lève et rayonne sur la terre, un nouveau jour apparaît. Et ainsi de suite, jour après jour…
Ce rythme est déjà présent dans les toutes premières pages de notre Bible, dans le livre de la Genèse. Dieu conclue chaque étape de sa Création par ce refrain : « Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. »
Cela nous paraît évident, pourtant ce n’était pas le cas dans l’Antiquité. Par exemple, dans l’Egypte ancienne, on découvre une incroyable histoire : celle du combat, chaque nuit, entre Ré, le dieu du soleil et Apophis, le dieu serpent qui souhaite empêcher le lever du soleil et plonger le monde dans les ténèbres pour toujours. Chaque nuit, les deux divinités se livrent donc un combat acharné dont Ré sort vainqueur bien sûr et le soleil peut à nouveau briller sur la terre.
Dans la plupart des civilisations anciennes, on rencontre ce type de récit qui, outre le fait de raconter une belle histoire pour endormir les enfants, remplit une fonction essentielle : trouver une origine à un phénomène exceptionnel que l’on n’explique pas encore à cette époque pour mieux le dompter, et surtout dompter la peur ressentie face à cet événement.
Voilà ce que Jésus veut nous dire dans ce texte : soyez sans crainte pour le lendemain, déposez les soucis qui vous rongent en ayant une confiance en ce Père céleste qui vous aime et une espérance que demain, il fera jour !
« Demain, il fera jour », vous allez me dire mais c’est une expression de fainéants ! C’est repousser au lendemain ce que nous n’avons pas envie de faire maintenant... Ce qu’on appelle la procrastination : remettre à demain ce que je pourrais faire aujourd’hui. C’est vrai que mon père me le dit souvent après une éprouvante journée, pour me rassurer : « Ecoute, laisse cela pour le moment, on verra ça demain, il fera jour ! »
Alors quand Jésus clame : « Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : le lendemain se souciera de lui-même. » Ce serait un peu comme un « Carpe diem » chrétien ? On se mettrait à suivre Timon et Pumba, (le phacochère et le suricate, amis du Roi Lion), pour chanter en chœur « Hakuna Matata » ? Ce serait chouette, une vie paisible, dans la forêt, on mangerait quand on en aurait envie, sans faire de réserve, on dormirait à la belle étoile sous les feuillages, une vie sans souci au final !
Oui, à première vue, c’est ce que nous dit ce texte. Sauf que ce style de vie s’apparente plus à de la paresse voire à de l’insouciance… Et nous connaissons Jésus, le texte cache une autre lecture qui nous donne à réfléchir et surtout qui nous met en mouvement et ne veut pas que nous restions passifs, à attendre que ça se passe.
Une vie sans souci ? Hum, cela paraît bien difficile en France, en 2019, d’échapper totalement aux inquiétudes. Il n’y a qu’à allumer la radio ou la télé pour entendre un flot de catastrophes climatiques, de pays qui sont en conflits, de maladies qui se propagent à vitesse grand V sans que nous puissions y faire grand-chose… Sans parler de tous nos soucis quotidiens qui nous affectent à notre travail, dans nos foyers, dans nos communautés…
Jésus sait bien que l’être humain est « la plus belle fontaine à inquiétude que la terre ait jamais portée. » (J’emprunte cette expression au pasteur Georges Michel). Nous sommes capables de nourrir les plus grandes inquiétudes face aux réalités de notre existence. Et toutes ces angoisses nous submergent et nous étouffent. Déjà le philosophe romain Sénèque, contemporain de Jésus, l’affirmait : « Il y a bien plus de choses qui nous font peur que de choses qui nous font mal. »
Alors, il est bien marrant Jésus avec son « ne vous inquiétez pas ! » On voit bien qu’il n’a pas à faire les courses au supermarché, à payer son loyer, à remplir le casse-tête de la déclaration d’impôts, à joindre les deux bouts à la fin du mois…
Ces paroles de Jésus peuvent nous sembler choquantes, oui. On peut être révoltés en les entendant car on peut tous être, à un moment donné, accablés par tant de tracas que l’on ne voit pas le bout du tunnel. On pense que l’on ne s’en sortira jamais… Mais cette parole de Jésus elle est vraie pour chacun d’entre nous. C’est une parole nouvelle ! Et même quand tout semble catastrophique dans notre quotidien, nous pouvons quand même recevoir cette parole nouvelle. « Ne t’inquiète pas », nous dit Jésus, parce que ton Père veille.
Tu as peur, c’est normal. Tout le monde a peur.
J’écoutais un reportage à la télé cet été qui retraçait l’aventure de Thomas Pesquet, notre astronaute français. A la question du journaliste qui lui demandait s’il avait eu peur durant son vol dans l’espace, il a répondu : bien sûr que j’ai eu peur, tout homme normalement constitué ressent de la peur face à l’inconnu, face à l’adversité… Mais ce qui le distingue des autres, c’est qu’il a réussi à maîtriser cette peur par son courage.
Et bien souvent ce courage nous le puisons dans nos forces les plus profondes, dans nos convictions fortes et dans notre foi en Dieu.
« Ne vous inquiétez donc pas de votre nourriture, de votre vêtement… Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. »
Quelle parole puissante et rassurante !
D’abord, cela fait du bien d’entendre que nous avons un Père. Un Père céleste qui est présent et qui veille sur nous. Il sait ce pourquoi nous nous inquiétons parce qu’il nous connaît et surtout parce qu’il s’intéresse à nous, il se penche sur notre vie. Chaque homme, chaque femme a du prix à ses yeux parce qu’il et elle porte la vie. Parce que chacun d’entre nous est porteur de sa Création ! Même si ce n’est pas toujours évident d’entendre cette parole dans le tsunami de nos vies… pas toujours visible cette action dans notre quotidien… cela n’enlève rien à la force de cette vérité : notre Père céleste est présent et il sait bien que nous avons besoin de toutes ces choses.
Ne vous en inquiétez donc pas, Dieu s’en occupe, car il a tout prévu ! S’il s’occupe de nourrir les petits oiseaux du ciel mais aussi de faire pousser les fleurs dans les champs, pour nous c’est pareil, il ne nous laisse pas une fois créés.
Maintenant, cesse de te soucier de tout, tout le temps. D’une part, ça ne sert à rien d’autre que de te rendre malade et ça ne rallonge pas la durée de ta vie, bien au contraire… Et d’autre part, parce que tu ne peux rien y faire ! La vie t’a été donnée, c’est un cadeau de Dieu. Accepte-le comme tel. Arrêtons de vouloir tout changer et surtout tout contrôler ! Comme si nous étions des dieux…
Vous avez sans doute déjà entendu notre pasteur Andreas Lof évoquer la pensée d’Etty Hillesum, cette jeune fille hollandaise juive déportée et morte à Auschwitz en 1943. Elle a tenu un journal qui est un formidable écrit d’une très grande sagesse et d’une spiritualité très profonde, d’une grande maturité malgré son jeune âge. Ce petit recueil associe à chaque jour du calendrier une phrase d’Etty (Etty HILLESUM, Faire la paix avec soi : 365 méditations quotidiennes, Points, 2014). Je voulais vous lire celle-ci qui résume en quelques mots, de manière formidable je trouve, notre Evangile :
« Comme les soucis voulaient m’assaillir de nouveau et ne semblaient pas devoir prendre fin, je me suis dit tout à coup : Toi qui prétends croire en Dieu, sois un peu logique, abandonne-toi à sa volonté et aie confiance. Tu n’as donc plus le droit de t’inquiéter du lendemain. »
Alors, ne t’inquiète pas, Dieu sait ce dont tu as besoin. Cherche plutôt le Royaume de Dieu et sa justice !
Quel est ce Royaume dont parle Jésus ?
Ne t’occupe pas d’abord de tes propres soucis, occupe-toi donc plutôt de faire la volonté de Dieu. Et ce que Dieu veut, c’est que nous prenions soin des autres ! Si Dieu s’occupe de nous, c’est pour qu’à notre tour, nous nous occupions des autres et que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes, voilà la première et plus grande volonté de Dieu. Car s’il nous nourrit, nous habille et nous loge, c’est pour qu’à notre tour, nous puissions donner un vêtement, un peu de pain, une oreille attentive, une main tendue à ceux qui en ont besoin autour de nous. Si Dieu nous aime, c’est également pour que nous puissions aimer ceux que nous rencontrons et leur parler de l’amour de Dieu et pour qu’ils puissent le vivre à leur tour.
C’est cela le Royaume de Dieu !
Et ce Royaume est proche, à notre portée.
Comme nous l’a dit Jésus, dans sa première prédication : « Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile. » (Marc 1, 15). Oui, nous pouvons d’ores et déjà expérimenter cet évangile, c’est-à-dire cette bonne nouvelle : notre Père céleste nous attend. Nous pouvons choisir dès aujourd’hui et ici-bas de suivre Jésus et de travailler ensemble pour établir le Royaume de son Père. Ce Royaume est fondé sur une nouvelle forme de justice sociale et fraternelle dont nous parle Jésus dans ces pages de l’Evangile, dans son « Sermon sur la Montagne » (Matthieu chapitres 5 à 7) où les rôles sont inversés et où les plus petits ont une place de choix.
Ne pas se soucier du lendemain, ce n’est pas mener une vie « Hakuna Matata », sans souci, au milieu de la jungle, où nous ferions ce qui nous chante quand ça nous chante… Ce que Jésus veut que nous comprenions c’est qu’il est temps de nous mettre en marche. En route vers le Royaume de son Père ! A la rencontre de ceux qui souffrent, de ceux qui sont délaissés, de ceux qui pleurent… A tous ces oubliés, leur dire : « à chaque jour suffit sa peine », vous n’avez plus à vous inquiéter. Si, nous, nous sommes tranquillisés, ce n’est pas parce que nous sommes riches et que nous avons tout en abondance, non c’est parce que nous sommes chrétiens. Fils et filles de Dieu, frères et sœurs de Jésus-Christ. Et cette identité de chrétiens est là notre véritable richesse.
C’est donc avec cette ferme assurance que nous pouvons avancer sur le chemin que Jésus nous montre. A nous de chercher le Royaume ! Dans l’espérance qu’une nouvelle justice s’établisse pour tous. Que cette route soit joyeuse et confiante. Avec la certitude que notre Père céleste se tient là, à nos côtés.
Oui, mes frères et sœurs, voici une bonne nouvelle pour chacun d’entre nous :
Demain, il fera jour !
Comme aujourd’hui, il fera jour demain et après-demain…
Amen