"Deux géants, un nain" par Jacques Beurier

Prédication du dimanche 5 mai 2019, par Jacques Beurier

Lectures :

Exode 3, 1 à 6
Actes 9, 1 à 8
Luc 19, 1 à 6

Rencontrer Dieu : un thème très présent d’une façon assez paradoxale dans notre société déchristianisée. Un thème qui donne naissance à des témoignages abondants, à une littérature un peu naïve ou simpliste, parfois discutable, que l’on pourra trouver dans toutes les librairies bien pensantes ou surtout bien sûr sur Internet à la rubrique Jésus , ou Dieu : « Comment j’ai rencontré Dieu» , « Comment j’ai rencontré Jésus» etc…. La rencontre avec Dieu est un sujet porteur. Le plus souvent ces témoignages font état d’une rencontre définitive, voire brutale dans un contexte parfois dramatique : « j’étais malade… j’avais eu un grave accident … Je vivais dans le péché …j’étais désespéré pour telle ou telle raison… et Dieu m’est apparu, m’a aidé : j’ai rencontré Dieu. »
Le caractère plus ou moins naïf de ces témoignages peut prêter à sourire ou même agacer, mais le plus souvent le fait est là : le bénéficiaire de cette rencontre a véritablement trouvé la foi, rencontré Dieu, et son témoignage, même naïf, doit être pris en considération. Ne le méprisons pas du haut de notre rationalité, de notre intelligence supérieure.
Les trois textes que nous avons lus , des textes bien connus, trop connus diront certains, mettent en scène trois héros de la Bible, bien différents et qui pourtant tous trois , chacun à leur manière me paraissent susceptibles d’alimenter notre réflexion sur cet évènement essentiel , un évènement qui nous concerne tous : la rencontre avec Dieu .

Revenons aux faits :
Moïse tout d’abord, un hébreu élevé comme un prince. Impulsif, passionné de justice au point de tuer. Moïse qui ne se sent absolument pas une vocation de chef, de leader. Moïse qui ne sait pas parler, qui bafouille lamentablement. Moïse va rencontrer Dieu dans le buisson ardent.

Cette rencontre, qu’il n’a pas voulue, le terrifie et son premier geste est de cacher son visage, de fermer les yeux car, nous dit la Bible : « Il craignait de regarder Dieu ».

Un début pas très brillant pour le futur chef du peuple élu. Comme bien d’autres, Moïse se battra pied à pied pour refuser la mission de Dieu, puis il obéira : on ne résiste pas à Dieu, mais auparavant il aura osé poser cette question « : S’ils me demandent quel est ton nom , que répondrai-je ? » En clair , c’est lui qui demande « Qui es-tu Seigneur ? »

Frères et Sœurs vous connaissez tous la réponse que fait Dieu. La commenter nous emmènerait trop loin . Aujourd’hui , ce qui nous intéresse c’est la question.

A l’autre bout de la Bible, Saint-Paul ou plutôt Saoul, Saoul de Tarse. Un affreux personnage, un tueur, complice, au moins passif, du meurtre d’Étienne, persécuteur professionnel des chrétiens, un homme qui, nous dit la Bible « respire la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. »

Un sale type, l’équivalent antique d’un membre de la Gestapo. Et pourtant Dieu va le choisir pour répandre sa parole dans le monde entier. Saoul va devenir Paul, l’athlète de Dieu. Lui aussi pose cette question : « Qui es-tu Seigneur ? »
Deux géants de la Bible : Moïse fonde un peuple. Paul fonde la plus grande religion de tous les temps. Pour eux tout commence par une rencontre et une interrogation

Et à côté de ces deux géants, un petit, un minable : Zachée. Aucune envergure, ni physique : il est tout petit, ni morale : il collabore médiocrement mais sans scrupules avec l’envahisseur. Il est devenu riche sur le dos de ses frères.

Et c’est lui que Jésus va chercher, c’est lui qui accueillera le Seigneur dans sa demeure ce soir-là !

À la différence de Moïse ou de Paul, Zachée fait une carrière biblique très discrète : il n’apparaît que dans ces quelques versets de Luc, mais quels versets ! Nous n’en entendrons jamais plus parler. Zachée disparait après avoir reçu le Christ chez lui.

Trois héros apparemment bien différents et dont la réunion peut paraître artificielle.
Et pourtant tous trois ont vécu la même aventure : ils ont rencontré Dieu. Ils ont vu Dieu. Ils ont eu ce privilège incroyable, et cette rencontre a transformé leur vie.

Dans l’aventure de Paul et dans celle de Moïse on trouve bien des similitudes : Dieu leur apparaît sans qu’ils aient rien demandé : Moïse garde les troupeaux de son beau-père au Mont Horeb, en pensant, nostalgique, à son Égypte natale qu’il a dû fuir. Paul ne pense qu’à massacrer les chrétiens. Pour l’un comme pour l’autre la rencontre avec Dieu n’est certes pas un objectif prioritaire.

Pour Moïse comme pour Paul, cette rencontre est un événement dérangeant, non désiré, qui se déroule dans un contexte cataclysmique ou pour le moins surnaturel, terriblement violent pour Paul, totalement incompréhensible et angoissant pour Moïse.
Ni l’un ni l’autre n’ont la possibilité de se soustraire aux exigences de Dieu. La foi leur est, si l’on peut dire inculquée manu militari. Ils doivent accepter la mission qui leur est confiée. Comment ne pas croire, comment ne pas obéir, quand un éclair vous flanque par terre ou quand vous êtes le témoin d’un phénomène aussi étrange, aussi inquiétant que le buisson ardent ?

Autre similitude : pour tous deux la rencontre avec Dieu s’accompagne d’une perte de la vue : Moïse se cache le visage car « il craint de regarder Dieu ». Paul devient carrément aveugle. Dans les deux cas la signification de cet événement est la même : Paul, comme Moïse, ne peut supporter la vue de Dieu. Pour ces deux futurs géants de la parole de Dieu, la vision de Dieu est proprement insupportable. On ne peut voir Dieu et continuer de vivre .Moïse et Paul n’ayant pas demandé à rencontrer Dieu ne veulent pas le voir et quand il se manifeste au milieu des flammes ou du tonnerre, ni leurs yeux ni leur cœur ne sont prêts à cette rencontre et ils ne la supportent pas.

Et Zachée, le petit Zachée, qu’en est-il pour lui ? Eh bien le petit Zachée, lui aussi voit le Seigneur mais pour lui tout se passe d’une façon bien différente : s’il le voit , c’est qu’il a voulu le voir. Il a même dû se battre pour le voir, piquer un sprint pour être le premier sur le chemin et, oubliant le personnage important qu’il est , ou qu’il croit être, oubliant sa dignité de notable, il a dû grimper à l’arbre, comme un gamin, pour voir Jésus et, la suite nous l’apprendra, être vu par lui, être repéré.

Ici nous sommes loin du contexte dramatique de la montagne d’Horeb ou du chemin de Damas.

Ici pas de drame, un épisode presque comique : Nous sommes à Jéricho , petite ville de province , Jésus avance au milieu de la foule de ses supporters. M. le percepteur perd la raison, pète les plombs, court comme un fou, grimpe aux arbres. Pour quelqu’un qui était déjà mal vu de ses concitoyens, cela ne risque pas d’arranger les choses.
Et bien non justement, Zachée était peut-être mal vu de ses concitoyens, mais en faisant cela, il a été vu, et bien vu, à tous les sens du terme par celui qui seul lui importait, celui qui, comme lui, se moque des convenances, du qu’en-dira-t-on ? Celui qu’il a souhaité passionnément voir et à la rencontre duquel il a couru poussé par on ne sait quelle curiosité ou plutôt , à mon sens répondant à je ne sais quel appel.

Zachée, à la différence de Moïse ou de Paul ne pose aucune question . Il est là , muet , tout petit dans son arbre . Il garde les yeux grands ouverts. Il a compris que voir Dieu, le rencontrer , ce n’est pas prendre un risque de mort, c’est au contraire prendre un risque de vie. Dans la bible hébraïque nul ne peut contempler la face de Dieu sans périr. Zachée, lui, veut voir le Sauveur, c’est pour cela qu’il a couru à sa rencontre : sans le savoir Zachée, fils d’Abraham, annonce la nouvelle loi. Cette rencontre de Zachée et du Christ , c’est la rencontre de deux volontés : celle du Christ, qui va vers Zachée , qui lève les yeux vers lui , qui l’appelle par son nom «Zachée, hâte-toi de descendre », qui lui parle à lui le collabo ; mais il y a aussi la volonté de Zachée voulant à tout prix voir Jésus, et qui ne craint pas d’adopter un comportement extravagant pour voir celui dont il sait qu’il va changer sa vie.

Cette rencontre ne s’accompagne d’aucun éclair, d’aucun phénomène surnaturel à grands spectacle. Elle est parfaitement humaine. Pour Zachée , pas de mission grandiose, pas de peuple à délivrer et à conduire, pas de souverain a défier. Il ne s’agit pas de libérer un peuple, de fonder une religion, d’évangéliser le monde , de partir à Rome ou ailleurs. Non, seulement une évidence : l’évidence de la rencontre , et c’est à lui, Zachée , qu’il est réservé d’entendre en direct, de la bouche même du Sauveur, le message de Dieu, la Bonne Nouvelle par excellence, celle qui peut changer toute vie, celle qui va changer le monde : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Que ne donnerions-nous pas, nous aussi, pour recevoir le Christ chez nous, et l’entendre nous dire, à nous, « C’est moi. Je viens chercher et sauver ce qui est perdu. » Voir Dieu, rencontrer Dieu, n’est-ce pas le but de notre vie ? rappelons-nous le cri de Job, ce cri d’espérance venu du fond de la détresse, ce cri que nous avons fait nôtre à Pâques : « Je sais , moi , que mon Rédempteur est vivant, Job qui ajoute ; « je sais qu’il se lèvera le dernier sur la poussière après que ma peau aura été détruite, je verrai Dieu , moi , je le verrai, mes yeux le verront , et non pas un autre . »

Nombreux, je l’ai dit, sont ceux qui pensent avoir rencontré Dieu, revivant souvent plus ou moins ce qu’a vécu Paul.

Malheureusement, pour la majorité d’entre nous, cette rencontre avec Dieu ne se passe en général pas ainsi. Nous ne sommes pas Moïse nous ne sommes pas Saint-Paul, il nous faut l’accepter. Nous sommes bien plus proches de Zachée. Bien sûr, nous ne collaborons pas avec l’occupant. Bien sûr nous ne volons pas, enfin pas trop, nos concitoyens, mais , comme lui, nous nous accommodons du mieux que nous pouvons du mal qui nous entoure et, sans être de grands criminels, nous ne nous refusons pas un petit mensonge par-ci, une petite trahison par-là.

Comme Zachée, fils d’Abraham, nous avons été présentés à Dieu. Nous avons, pour la plupart d’entre nous entendu parler de lui, parfois fort bien, dans notre enfance, lors de notre instruction religieuse, mais nous savons hélas que cela ne crée pas forcément les conditions d’une véritable rencontre avec Dieu.
Cette rencontre avec Dieu, nous pouvons espérer qu’elle nous soit imposée d’une manière dramatique, explosive, sans réplique, aveuglante, mais il me paraît à moi plus sûr, et je crois beaucoup plus beau, qu’elle soit le fruit de notre volonté : Jésus vient vers nous, nous devons aller vers lui. Telle est notre grandeur. Nous devons descendre de notre arbre pour nous tenir devant lui, face à notre Dieu, tels que nous sommes. « Coram Deo , face à Dieu »,disait Luther en deux mots qui résument toute sa pensée .

Zachée a voulu voir Jésus. Il a couru vers lui, il a grimpé au sycomore.
Devons-nous, nous aussi, nous mettre à courir, à escalader les arbres, à avoir des comportements extravagants ?

Pourquoi pas après tout ? Mais il existe des moyens plus simples d’aller au-devant du Christ et de prendre de la hauteur pour mieux le rencontrer ; notre course au-devant de Jésus, c’est la prière : par la prière nous nous mettons en position d’attente, nous nous mettons en embuscade sur sa route. Prier c’est aller au-devant du Seigneur, essayer de le voir, d’être vu par lui.

Quant au sycomore notre sycomore à nous, qui nous permet de surmonter nos handicaps, de nous élever au-dessus de la foule, d’accéder à la vue et à la parole de Jésus, ce sycomore s’appelle Mathieu, Marc, Luc, Jean, ou Paul… et tant d’autres . En lisant l’Evangile, en écoutant ce qu’il nous annonce , la Bonne Nouvelle, nous aussi nous entendons les mots de Jésus : « Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu . »

Quant à la question de Paul et de Moïse « qui es-tu Seigneur ? » , alors là , je crois que le mieux est de faire comme Zachée : ne pas la poser , et même ne pas se la poser : Dieu n’est pas accessible à notre pauvre intelligence terrestre . Hormis peut-être le cas de quelques grands mystiques , que nous ne sommes pas , cette réponse ne nous sera donnée que quand , comme Job , notre chair aura été détruite et que de nos yeux nous verrons Dieu . Mais Jésus nous a donné une réponse , concrète , susceptible d’être mise en œuvre ici-même chaque jour de notre vie : « Je suis celui que tu croises sans le voir et sans l’entendre , celui qui a faim et que tu ne nourris pas , celui qui est nu et que tu ne vêts pas . »

Oublions internet. N’attendons pas un nuage de feu , une lueur aveuglante. La vraie grandeur c’est celle de l’homme modeste, du petit percepteur qui ne va pas changer le monde mais qui fait tout pour rencontrer Dieu, qui ,sans cesse, comme Augustin , cherche son visage ,car l’important n’est pas de trouver Dieu mais de le chercher toujours et sans cesse et , quand on l’a rencontré , de se tenir devant lui tel qu’on est , de l’accueillir , ou plutôt d’être accueilli par lui. Zachée ne pose pas la question : « Qui es-tu Seigneur ? » D’emblée il a reconnu le Sauveur . Zachée, le nain, est plus grand par la foi que les deux géants Moïse et Paul.

Rencontrer Dieu, oui cela est possible, mais que ce soit le fruit de notre volonté, que ce soit nous qui allions au-devant du Christ par la prière, par l’écoute de sa parole par notre attention à ceux que nous croisons sans les voir. Que ce soit nous, qui nous mettions sur son passage : alors il lèvera les yeux vers nous, son regard croisera le nôtre. Nous l’entendrons nous dire :
« Il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison » : Christ demeurera en nous . Y a-t-il une plus belle définition de la Foi ?

Chercher Dieu, c’est déjà être touché par la grâce. Zachée, avant même de se mettre à courir avait été appelé par Jésus . « Tu ne me chercherais pas, dit Pascal, si tu ne m’avais déjà trouvé » Comme Moïse avant lui, comme Paul après lui , il a bénéficié, sans le savoir, sans éclat, sans nuée aveuglante, du vrai miracle de la foi donnée : cela s’appelle la grâce.

Jésus passe. Il lève les yeux vers nous. Son regard croise notre regard. Il nous fait signe. Il nous appelle par notre nom. L’évidence est là. Nous avions cru le chercher. En partant à sa rencontre, nous répondons déjà à son appel. AMEN