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Devenir figuier

Prédication du dimanche 2 mars 2025, par Dorothée Gallois-Cochet

 

Devenir figuier

Prédication du dimanche 2 mars 2025, par Dorothée Gallois-Cochet

 

Lecture biblique : Luc 6, versets 39 à 45

 

 

Ohé, toi qui es sourd… je vais te raconter une histoire d’aveugle.

 

Le passage de l’Evangile de Luc que nous venons d’écouter décrit un temps qui se situe au début du ministère de Jésus, en Galilée. Jésus s’est retiré sur la montagne pour prier, il vient de choisir les 12 apôtres et il enseigne ses disciples. C’est le passage dit du sermon sur la montagne, qui débute avec le texte bien connu des béatitudes - « Heureux êtes vous » - et qui se poursuit avec notre texte du jour.

 

Pour s’adresser à ses disciples, Jésus emploie des paraboles. Elles s’enchaînent - vous l’avez entendu : des paraboles autour de la vue, celle de l’aveugle, celle de la paille et de la poutre, puis des paraboles sur les arbres et leurs fruits. Une parabole, c’est une histoire visant à faire comprendre une vérité spirituelle au moyen d’un exemple tiré de la vie courante. Cette figure de style à visée pédagogique est très fréquente dans la bible.

 

Ce qui a immédiatement retenu mon attention ici, c’est que le narrateur, Luc, nous indique expressément que Jésus s’adresse à ses disciples au moyen d’une parabole. Le verset 39 débute par : « Il [c’est-à-dire Jésus] leur dit aussi cette parabole ». Comme si nous n’allions pas nous rendre compte par nous-mêmes qu’il s’agissait d’une parabole ! Je n’ai jamais lu dans la bible « Jésus leur dit cette métaphore » ou « Jésus leur dit cet oxymore ».

 

La pédagogie de Jésus à l’égard de ses disciples est donc amplifiée par celle de l’Evangéliste à l’égard du lecteur. Et cette manière de faire se retrouve très souvent dans la bible. Par exemple juste après notre texte, au chapitre 8 de l’Evangile de Luc, avec la parabole du semeur, ou encore dans l’Evangile de Jean au chapitre 10, avec la parabole du bon berger. A chaque fois, l’Evangéliste écrit « il leur dit aussi cette parabole ».  Pourquoi cette pédagogie insistante ?  

 

La réponse est dans les textes que je viens de mentionner.  Jean 10, verset 6 : « Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas de quoi il leur parlait ».

Et dans Luc au chapitre 8, verset 10 : « il vous a été donné à vous [c’est-à-dire les disciples] de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais pour les autres cela est dit en paraboles afin qu’en voyant ils ne voient pas et en qu’en entendant ils ne comprennent pas ».

L’explication de cette insistance, c’est donc que malgré les efforts déployés par Jésus pour transmettre son message, nous avons beaucoup de mal à comprendre.

Face à la parole de Dieu, nous sommes malentendants.

 

Et à nous, qui sommes sourds, le texte du jour dit que nous sommes aveugles.

 

Jésus débute son adresse à ses disciples avec douceur, en leur parlant d’un aveugle inconnu, innomé, impersonnel. Cet aveugle, là-bas, au loin, peut-il conduire un aveugle ? Evidemment non, la réponse fuse et chacun de nous a spontanément envie de la donner ! « Ils tomberont tous deux dans un trou » confirme Jésus, ou dans un fossé selon les autres traductions. Incontestablement, un tel attelage n’ira pas bien loin. L’évidence est là pour que nous y adhérions.  

 

Mais très vite, vient la deuxième parabole, et ce « eux » devient « toi ». « Pourquoi vois-tu le brin de paille qui est dans l’œil de ton frère ou de ta soeur et ne remarques tu pas la poutre qui est dans ton oeil ? ». Il ne s’agit plus d’aveugles distants, Jésus s’adresse directement à moi. L’interpellation devient personnelle. C’est moi qui ai une poutre dans l’œil. Cette poutre dans mon œil m’entrave ; je suis comme emmuré, enfermé, empêtré dans mes certitudes.

Je suis un aveugle empoutré.  

 

Pourtant, je peux devenir la bonne personne, qui tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, dont il est question à la fin de l’histoire. Je peux devenir un bon arbre qui porte de bons fruits. Et l’on pense naturellement aux fruits de l’esprit, énumérés dans Galates 5 : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la confiance dans les autres, la douceur et la maîtrise de soi.

 

Comment faire ? La parabole de la paille et la poutre nous indique deux voies d’action.

Premièrement, oublie la paille qui est dans l’œil de ton frère ou de ta soeur.

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère ou de ta soeur » ; comment peux-tu dire « frère laisse moi enlever la paille qui est dans ton œil » ? Ces versets sont un avertissement sur cette habitude que nous avons de juger les autres, sur notre tendance irrépressible à vouloir les corriger, les améliorer, à leur prodiguer à tout vent des conseils non sollicités. Toujours prêt, toujours prête, toujours prompt -e, à enlever de l’œil de note prochain le moindre bout de paille, la menue brindille, et même la minuscule graine de sciure selon la traduction de la bible du Semeur.

Nous nous pensons volontiers en secouriste de nos proches.

Car nous, les aveugles empoutrés, nous sommes persuadés de notre extra lucidité ! « Hypocrite », nous dit Jésus au verset 42, c’est-à-dire « toi qui te prêtes des vertus de discernement que tu ne possèdes pas en réalité ». On reconnaît l’invective qu’il adresse ailleurs aux pharisiens.

 

Et cela fait le lien avec la première parabole, car je comprends que j’y suis le deuxième aveugle : jugeant mon frère malvoyant, je viens lui prendre le bras pour le guider en pensant l’aider à affronter un environnement périlleux, mais je le conduis en réalité dans le fossé.  

 

Juste avant notre passage, au verset 37, Jésus dit : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, pardonnez et vous serez pardonnés ». Gardons-nous donc de juger les autres car le seul juge, c’est Dieu.

Gardons-nous de nous prendre pour des guides d’aveugle, car le seul guide qui soit fiable, c’est Jésus lui-même, qui est le chemin, la vérité et la Vie. Si nous lui faisons confiance pour guider nos propres vies d’aveugles, nous pourrons alors éviter les ornières.

 

Ainsi, ces paraboles nous invitent à nous défocaliser de la paille qui est dans l’œil de notre frère ou notre soeur. Dans un langage plus familier, ce pourrait être « lâche les baskets de ton frère, de ta soeur ».

 

La deuxième voie d’action qui nous est indiquée dans cette parabole de la paille et la poutre, c’est « enlève d’abord la poutre de ton œil ».

A première vue, nous pourrions être découragés … une poutre, c’est extrêmement lourd, et souvent inamovible, tellement structurant.. on pressent qu’enlver la poutre fait risquer l’effondrement. Pourtant, nous pouvons être confiants quant au fait que Jésus ne nous demande jamais l’impossible. Nous pouvons donc enlever cette poutre.  

 

Mais ça veut dire quoi exactement, enlever la poutre de mon œil ? Ce que Jésus attend de nous, il le dit explicitement au verset 40, en quelques mots discrètement enserrés entre deux paraboles : « tout disciple bien formé sera comme son maître ».

Le mot clé, c’est donc la formation du disciple, qui renvoit chacun à sa propre formation.

 

La formation dont il est question ici n’a évidemment rien d’académique. Elle ne suppose aucun prérequis (on sait comment Jésus a choisi les 12 apôtres), elle n’est attestée par aucun diplôme. C’est de formation spirituelle dont il est question, de croissance spirituelle.

Cette formation suppose trois fréquentations. La fréquentation de la Bible, celle de Dieu et celle de l’Eglise. Notre croissance spirituelle passe par la lecture régulière de la bible, l’intégration de la prière dans notre quotidien et la participation fidèle à la vie spirituelle communautaire, comme nous le faisons aujourd’hui. Non seulement cette formation est à notre portée, mais en plus, elle nous est offerte gratuitement par Dieu.

Finalement, la poutre à oter devient légère comme une paille, si l’on veut bien prendre la peine de s’en occuper.

 

Et nous pouvons noter la perspective altruiste de cette formation à laquelle Jésus nous appelle. Jésus nous dit « « enlève d’abord la poutre de ton œil et alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l’œil de ton frère ou de ta sœur ». Il ne nous appelle donc pas à l’indifférence à l’égard de nos frères et sœurs, mais à l’humilité du disciple bien formé qui pourra, dans la délicatesse, l’écoute et la bienveillance, accompagner le prochain qui le sollicitera.

 

Ce message qui souligne l’importance fondamentale de notre formation spirituelle permet de faire le lien avec la deuxième partie du texte. En effet, dans une lecture un peu rapide, on peut avoir l’impression qu’à partir des paraboles sur les arbres et les fruits, on change de sujet. D’ailleurs dans la Bible Segond l’ensemble de notre texte figure dans le Sermon sur la montagne, mais dans la traduction Parole de vie, il y a un découpage fait par l’éditeur au verset 43 et un nouveau paragraphe, intitulé l’arbre et ses fruits. Je pense pourtant que ce texte forme un tout, parce que les paraboles sur les arbres et les fruits viennent compléter le message sur la formation spirituelle, en en soulignant les bénéfices, mais aussi les difficultés.

 

Les bénéfices, ce sont les bons fruits.  « chaque arbre se reconnaît à son fruit, on ne cueille pas des figues sur des ronces, on ne récolte pas du raison sur des ronces ». Comme tout à l’heure, Jésus énonce une vérité que personne n’aurait idée de contester. Même les citadins que nous sommes savent qu’il n’est pas rationnel d’espérer cueillir des figues ailleurs que sur un figuier. Aujourd’hui, la figue est un fruit délicat, précieux, et rare. Mais dans la palestine de l’époque de Jésus, les figues étaient des fruits de consommation courante. La figue symbolise l’aliment quotidien, à la fois nutritif et savoureux, qui nourrit l’être humain, le fait vivre.

 

Comment ne pas voir que là encore, en nous parlant à première vue de réalités du monde extérieures et distantes, tout à l’heure les aveugles, maintenant les arbres et leurs fruits, Jésus nous parle en réalité de nous, personnellement ? Comment ne pas voir que l’arbre c’est moi ?

 

Le dernier verset du texte dit « Celui qui est bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et celui qui est mauvais de mauvaises choses du mauvais trésor de son cœur. En effet, ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du coeur ». Les fruits que nous portons, ce sont donc les paroles qui sortent de notre cœur, le cœur qu’il faut comprendre ici dans un sens hébraïque, comme centre de notre réflexion et de notre décision. Autrement dit, nos paroles reflètent l’intérieur de notre être profond, ce qui nous fonde et nous détermine, comme les fruits identifient l’arbre. Nous pouvons également faire le lien avec la parabole de la poutre, en nous interrogeant sur les paroles que nous avons pour notre prochain.

Des paroles qui  jugent, qui critiquent, qui condament, ou au contraire des paroles qui relèvent, qui encouragent, qui bénissent ?  

 

Pour porter de bons fruits, il nous faut être un bon arbre. On retrouve la préoccupation de notre croissance spirituelle.

Dans plusieurs traductions, le verset 43 dit « un bon arbre ne porte pas de mauvais fruits et un mauvais arbre ne porte pas de bons fruits ». Littéralement, affirmer qu’un bon arbre ne produit pas de mauvais fruits ne me semble pas toujours vrai. Oseras-tu dire à l’agriculteur dont les fruits ont été endommagés par la grêle et sont donc mauvais, que son arbre n’était pas bon ? Je crois qu’il faut surtout s’intéresser au deuxième arbre, celui qui est mauvais et ne produit pas de bons fruits. Et d’autres traductions, dont celle que nous avons entendu, parlent ici d’un arbre malade et non d’un arbre mauvais. Mauvais et malade, ce n’est pas exactement pareil et j’ai cherché à en savoir plus. Bien incapable de lire le grec, j’ai interrogé notre pasteure : qu’est-il écrit en grec, à propos de cet arbre, au verset 43 : malade ou mauvais ? voici sa réponse : Le mot en grec est « sapros », qui se traduit par mauvais mais aussi par pourri, putréfié ou corrompu. C’est donc plus que malade, il y a quelque chose dedans qui se ronge et se détériore et donc, qui produit des fruits à son image.

 

Ce retour à la version originale nous permet de comprendre que cet arbre qui produit de mauvais fruits, n’est pas mauvais par nature, comme d’autres seraient bons par nature ; il est mauvais du fait d’une corruption progressive venue de l’intérieur. Jésus me demande : prends tu soin de la croissance de ton arbre ou laisse- tu ce qui ronge, putréfie et corrompt gagner progressivement du terrain  ? Il est donc à nouveau question de croissance spirituelle.

 

Enfin, c’est le dernier point, ces paraboles sur les arbres et les fruits complètent les précédentes en nous éclairant sur les difficultés que nous pouvons rencontrer lorsqu’il est question de croissance spirituelle.

 

La première difficulté tient à une évidence que nous connaissons tous : pour sa croissance, l’arbre a besoin d’une alimentation en eau et en lumière qui soit régulière …  Nous aussi, nous avons besoin de ces éléments vitaux à dose raisonnable mais avec une très grande régularité.

Jésus se présente lui-même comme la source d’eau vive, et comme la lumière du monde. Notre croissance spirituelle tient donc à la régularité de notre fréquentation de la bible, à la régularité de notre prière et à celle de notre vie communautaire.

 

La seconde difficulté, ce sont les obstacles extérieurs que nous pouvons rencontrer, illustrés par la figure des ronces. « On ne cueille pas des figues sur des ronces » ou « sur des épines ».

Aujourd’hui on peut avoir une vision positive des ronces, non seulement parce que les arbustes qui produisent les délicieuses mûres font partie de la famille des ronces, mais aussi parce que les préoccupations écologiques contemporaines nous font redécouvrir combien les friches livrées aux ronces sont un trésor pour la biodversité.

Mais dans ce texte, il ne fait aucun doute que les ronces ont une connotation négative. Les ronces, mieux encore que les épines, symbolisent tout ce qui peut venir ralentir, entraver, voire étouffer notre croissance spirituelle.

 

On en a la certitude quand on lit la parabole du semeur qui suit au chapitre 8. Vous savez le semeur qui sort  pour semer, et dont une partie de la semence tombe le long du chemin, une autre sur un sol pierreux, une autre au milieu des ronces et une autre enfin dans la bonne terre. La semence qui tombe au milieu des ronces est étouffée. Et Jésus, qui explique ensuite la parabole à ses disciples, ajoute : « ce qui est tombé parmi les ronces, ce sont ceux qui ont entendu la parole, mais en cours de route ils la laissent étouffer par les préoccupations, les richesses et les plaisirs de la vie et ne parviennent pas à maturité ». Tel est le risque qui nous guette dans notre quête de croissance spirituelle, laisser les ronces nous étouffer.  Les ronces font ainsi écho à la poutre.

 

 

Devenir un tronc pourri envahi par les ronces n’est pas une perspective très réjouissante. Le psaume 92 nous dit : Celui qui obéit à Dieu grandit comme un palmier, il se développe comme un cèdre du liban. Quand il devient vieux, il porte encore des fruits, il reste plein de sève et ses feuilles sont toujours vertes ».

 

Comme je n’ai vu que 2 figuiers dans ma vie, j’ai eu envie d’en savoir plus sur cet arbre et j’ai cherché sur wikipedia (je ne suis pas une fan de wikipedia, mais pour des informations basiques sur le figuier, j’ai pensé qu’il n’y avait pas trop de risque).

 

Et voici ce qu’on y lit : « Le figuier est un petit arbre (3 à 4 m de haut) au tronc souvent tortueux, au port souvent buissonnant. Les figuiers peuvent avoir une allure très différente les uns des autres. Il existe des figuiers mâle et des figuiers femelle. Toutes les parties de la plante (rameaux, feuilles, fruits) contiennent un latex irritant. Ses feuilles sont rugueuses. Le figuier est robuste, il peut produire très longtemps et peut être cultivé sur une large gamme de sols. Ses racines sont souvent peu profondes ».

Vous ne trouvez pas qu’il nous ressemble, à nous les humains ?

 

Il est certainement moins majestueux que le cèdre du liban. Mais il porte la promesse de fruits savoureux.

 

Jésus vient au secours de notre cécité, aide-nous à devenir figuier. Amen