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Faire route avec l'étoile

Prédication du dimanche 5 janvier 2025, par Natacha T.

 

Faire route avec l’Etoile

 

Prédication du dimanche 5 janvier 2025, par Natacha T.

Lecture biblique : Matthieu 2, versets 1 à 12

 

 

Peut-être êtes vous en train de penser que vous auriez bien aimé trouver la fève dans la traditionnelle galette des rois que vous n’avez pas manqué de déguster à la fin de votre déjeuner.

 

De fait, dans le calendrier ecclésial commun à la plupart des traditions chrétiennes, l’épiphanie, relatée dans l’Evangile par Matthieu, est fêtée aujourd’hui. Qu’est-ce que cet évènement veut dire pour nous, maintenant, dans un contexte global sombre, dans lequel la lumière transparait peu ?

 

Le terme français épiphanie est basé sur le mot grec grec ἐπιφάνεια epiphaneia. Le préfixe Ἐπι Epi signifie « sur » et le verbe φαίνω phaïnò « apparaitre ». A l’origine, l'Épiphanie s'inscrivait dans le cycle débutant au solstice d'hiver. Cette nuit, qui était la plus longue de l'année, annonçait le rallongement des jours et par extension, la renaissance de la lumière censée être à l'origine de toutes choses.

 

Dans l’église des premiers siècles, les chrétiens prirent l’habitude de  célébrer en une seule fois début janvier  les premières manifestations  de la divinité de Jésus : la nativité, l’adoration des Mages, le baptême dans le Jourdain et les noces de Cana. Néanmoins, dès le IVème siècle, les diverses Eglises d’Orient et d’Occident commencèrent à dissocier ces différentes étapes, désormais solennisées séparément dans le temps liturgique.

 

 

Depuis, en Orient, l’Epiphanie est davantage la célébration de l’inauguration du ministère public de Jésus lors de son baptême au Jourdain, alors qu’en Occident, l’accent est mis sur les mages, communément connus comme les rois, bien que le texte biblique de Matthieu, seul évangéliste à raconter cet épisode dans ce qui est connu comme l’Evangile de l’enfance,  n’évoque pas cette royauté.

 

Alors, comment les mages sont-ils devenus rois ? Nous ne le savons pas exactement. Dès la fin du IIème siècle, certains Pères de l’Eglise, notamment Tertullien, rapprochèrent du texte de Matthieu des passages du Psaume 71[1] et du livre d’Esaïe,[2] où il est question de rois effectuant des offrandes. A partir du XIIème siècle, les mages ont été représentés avec des couronnes, comme en témoigne entre autre la verrière de l'Histoire de la Vierge dans la basilique de Saint-Denis. Au XIIIème siècle, la célèbre légende dorée de Jacques de Voragine indiqua que ces rois étaient au nombre de trois, sans doute du fait qu’ils apportent d’après le texte de l’Evangile trois présents.[3] Peut-être ce travestissement des mages en rois est-il due à une volonté de masquer l’identité véritable de ceux qui furent les premiers à adorer publiquement Jésus, la réputation des mages dans la Palestine du 1er siècle étant peu flatteuse.

Dans l’Ancien Testament, il est question à plusieurs reprises de mages, présentés sous un jour peu favorable. Par exemple, dans la Genèse, un pharaon fit des songes étranges, dont il demanda l'interprétation à ses mages.[4] Plus tard, dans l'Exode, un autre pharaon fut entouré de mages tentant de réaliser des prodiges aussi éclatants que ceux de Moïse et Aaron.[5]

Les mages venus d’Orient pour adorer Jésus étaient des savants perses ou babyloniens, ayant sans doute approché  le messianisme israélite dans les juiveries de Babylone. Comme souvent dans l’Antiquité, leur science était en réalité un mélange d’astrologie et d’astronomie.  Ces mages consacraient la majeure partie de leur temps à inventorier les étoiles et les astres pour déterminer la géographie des cieux et localiser les constellations, qu’ils lisaient comme autant d'annonces, de présages, selon la croyance que les grands luminaires pouvaient déterminer le destin de l’humanité. Leur venue auprès de Jésus n’est pas invraisemblable. D’après la tradition juive, Hillel, le Babylonien, avait effectué à pied le trajet de Babylone à Jérusalem en 20 avant Jésus-Christ.

Lorsqu’une étoile particulièrement scintillante et jamais vue auparavant se mit soudainement à briller au firmament, nous pouvons imaginer que les mages  se trouvèrent pris dans des débats animés, multipliant les hypothèses.

Nous ne connaissons pas le contenu de leurs échanges, mais nous savons qu’ils tombèrent d’accord pour voir dans cet astre un signe, conformément à la tradition juive considérant l’Astre issu de la tribu de Jacob comme l’un des symboles du Messie attendu : « je le vois, mais non pour maintenant, je le contemple, mais non de près : un astre est issu de Jacob et un sceptre a surgi d’Israël ».[6]  

Si la Torah interdit la recherche des présages dans le ciel, pour éviter que les gens se détournent de Dieu, l’étoile aperçue par les mages ne dit rien n’ayant pas déjà été révélé par ailleurs. Elle ne s’oppose donc pas à la foi en Dieu annoncée par les prophètes.

 

D’ailleurs, lorsque les mages parvinrent à Jérusalem, Ville sainte avec son Temple majestueux et ses nombreux prêtres, l'étoile avait disparu, alors qu’il aurait été normal de trouver l’enfant roi dans cette cité. Mais l’incarnation nouvellement née reposait à Bethléem, dans l’ombre de la nuit, au sein d’une maison obscure.

Quel contraste s’offre à nos yeux : d’un côté nous avons Jérusalem, ville privée d’étoiles, agitée d’inquiétude, cité du palais et du temple d’une religion sure d’elle-même, des certitudes et des réponses rapidement faites, sans vraies questions. De l’autre, nous avons Bethléem, son ciel étoilé, sa crèche de la surprise, de la vie, de la naissance et des questions encore sans réponse.

A leur arrivée à Jérusalem, les mages signifièrent publiquement la temporalité de la naissance de Jésus, le lieu de sa réalisation étant apporté par les religieux juifs. Paradoxalement, l’agrégation des deux dimensions fut effectuée par Hérode, qui eut recours insidieusement au verbe « se prosterner ».

 

Comme il n’adorait que lui-même, il savait pertinemment qu’il n’irait pas rendre visite à l’enfant nouvellement né. Les prêtres et les scribes du temple étaient dans une posture similaire : excellents théoriciens, ils n’ignoraient pas où ils devaient se rendre pour rencontrer Jésus. Mais ils choisirent la staticité et restèrent à Jérusalem. Pourtant, dans la vie chrétienne, savoir ne suffit pas : la connaissance de Dieu n’est pas possible si nous ne sortons pas de nous-même, si nous ne nous décentrons pas, si nous ne cheminons pas, si nous n’agissons pas.  

 

A la différence des prêtres et des scribes, les mages n’avaient pas hésité à laisser derrière eux l’ordinaire de leurs existences pour venir voir l’enfant né. Après avoir parcouru des distances considérables, après un voyage de plusieurs semaines qui ne fut surement pas de tout repos, ils acceptèrent de laisser émerger les questions les habitant, au point d'interroger à Jérusalem un peuple les méprisant habituellement. Alors qu’ils croyaient leur quête aboutie, ils acceptèrent de se remettre en route.  Ce parcours géographique des mages est impressionnant, mais apparaît secondaire par rapport à leur itinéraire spirituel.

 

A travers leur périple, non seulement ils se déplacèrent pour aller à la recherche de Dieu, mais ils se laissèrent surtout déplacer par Lui et guidés par ses signes. Mis en mouvement par la première apparition de son étoile, ils éprouvèrent une grande joie lors sa seconde apparition, avant de se prosterner devant ce Messie nouveau-né, accueillant à la fois la fragilité et la nouveauté radicale, qu’ils saluèrent par des présents hautement symboliques : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

 

Tout d’abord, l’or, par son caractère solaire et divin, manifestait la perfection. Ensuite, l’encens, parfum sacré provenant de résines importées d’Arabie, signifiait avec sa fumée s’élevant vers le ciel l’adoration vouée à Dieu seul. Enfin, à l’or et l’encens déjà mentionnés par Esaïe, s’ajouta ici la myhrre, entrant chez les juifs dans la composition rituelle de l'huile d'onction servant à consacrer les prêtres et les objets de culte, ainsi qu’à l’embaumement des morts.

 

Dès le IIIème siècle, Origène tenta de discerner la signification de ces dons. Il vit dans l'or un signe de la royauté du Christ, dans l'encens l’expression de sa divinité et dans la myrrhe une annonce de sa fin.[7] Dès le commencement de sa vie, avec ces cadeaux, c’est le ministère futur de Jésus qui est préfiguré.

 

Mais au-delà de leur coût ou de leur caractère symbolique, au final, c’est le geste du don qui importe: les mages, qui ne sont pas juifs, s’ouvrent devant Jésus, reconnaissant ainsi son universalité, ainsi que l’inconditionnalité de son incarnation se donnant à tous et toutes sans exclusive, quels qu’ils soient. 

 

Les trois mages représentent la cohorte de tous les témoins vers qui Jésus ira pendant sa vie, mais aussi ceux qui dans toute leur diversité viendront à lui, venu les émanciper de leur servitude, briser les carcans posés par l’occupant romain et la classe dirigeante juive.

 

Le voyage des Mages d'Orient a été le début d'un défilé ininterrompu, qui s’est poursuivi tout au long de l'histoire. Avec eux, a commencé la marche de l'humanité vers Jésus Christ, vers ce Dieu né dans une étable, mort sur la croix et qui, depuis sa résurrection, demeure avec nous tous les jours.

 

Lors de notre venue au monde, une étoile s'est levée aussi pour chacun et chacune d’entre nous. Ensuite, durant notre parcours de vie, parfois ou souvent, la lumière s'est affaiblie. Sont venus les doutes, les interrogations, les aspérités du chemin, les épreuves. Pourtant, à chacun et à chacune de nous, Dieu donne encore et toujours sa lumière de bien des façons, du soleil brillant de l'Évangile aux étoiles discrètes des événements quotidiens.

 

Malgré cela, nous risquons toujours de cesser de chercher Dieu et le mystère de la vie. Nous sommes peu prompts à discerner le réservoir inépuisable de marques divines imprimées dans notre réalité quotidienne.

 

A l'image des grands prêtres et des scribes restés à Jérusalem plutôt que d’aller rendre hommage au Messie venant de naître, nous pouvons avoir tendance à rester enfermés dans nos acquis, en nous préservant soigneusement de ce qui pourrait bouleverser notre quotidien bien ordonné, en refusant la radicalité de la nouveauté, comme dans la Jérusalem du premier siècle.

 

Jérusalem, où continue toujours de s’écrire l’histoire des puissants, de la violence aveugle, de murs qui séparent et excluent, alors qu'à Bethléem se déroule en parallèle une autre histoire, celle de toutes les  crèches accueillant la surprise, l’inatendu, où se rencontrent et se soutiennent les nations, les générations pour rendre grâce au Dieu vivant, pour accueillir la vie qu’il donne et la transmettre.

 

Car Dieu est vivant, dans notre monde et dans nos vies. A Noël, il s’est fait l’un d’entre nous, humains parmi les humains, enfant que nous pouvons serrer dans nos bras, plutôt qu’ombre protectrice et lointaine censée régir nos vies depuis le ciel. Désormais, Dieu n’est plus à chercher au temple, sur les autels, dans les hauteurs qui nous sont inaccessibles, mais dans notre présent, là où nous sommes.

 

L'étoile qui nous guide dans notre recherche est l'Évangile qui nous permet de voir sous leur vrai jour les personnes, les événements, le fond de notre coeur et Dieu même. Chaque page des évangiles est une lumière sur notre route, nous permettant de discerner dans nos cheminements individuels et ecclésiaux les traces de celui que nous est venu au-devant de nous.  

 

En effet, trop souvent, nos communautés ancrées dans leurs temples solides à l’architecture noble ressemblent davantage au palais de Jérusalem qu’à la crèche de Bethléem, potentiel modèle de ce que devraient être nos églises face à tous ces mages étranges, ces explorateurs de Dieu qui viennent vers elles, souvent de loin. N’oublions pas qu’à la différence du clergé et des théologiens juifs, ce sont les représentants étrangers d’une religion païenne qui ont les premiers publiquement accueilli Jésus, qui s’est donné à l’adoration de tous sans exception et a accepté l’ensemble des dons lui ayant été offerts.

 

Laissons-nous donc interpeller par cette fête de l’Épiphanie. Alors que nous débutons une nouvelle année dans des circonstances incertaines, elle nous rappelle que le Christ est lumière éternelle pour nous, que sa parole est une lampe pour nos pas, mais aussi et surtout que nous avons vocation à devenir, comme individus et comme Église, l’étoile capable de guider les mages de notre monde, les chercheurs de Dieu d’aujourd’hui et de demain.

Amen.

 

 

[1] Ps 71, 10.

[2] Is 60, 3.

[3] JACCQUES DE VORAGINE, La légende dorée, Paris, Librairie de Charles Gosselin, 1843, p. 57

[4] Gn 41, 16-8.

[5] Ex 7, 8.

[6] Nb 24,17.

[7] ORIGENES, Contra Celsum I 60, GCS 2, 111, SCh 132, 240-241; ORIGENES, Commentarii in Matthaeum. Katenenfragmente 30, GCS 41, 28.