"Fin du monde et règne de Dieu"
Fin du monde et règne de Dieu
Epître aux Galates 5, 13 à 25
Matthieu 6, 25 à 34
Chers frères et sœurs, une fois n’est pas coutume, aujourd'hui ma méditation ne porte pas sur les textes du jour. Vous savez que je fais partie du noyau de l’église verte de Pentemont-Luxembourg. Ce dimanche est une occasion de vous en parler.
Quand je pense à la sauvegarde de la planète, le désespoir m’envahit. Pendant le premier confinement à partir de mars 2020, nous avons pu croire que la pandémie allait provoquer des prises de conscience et que le monde d’après serait différent. Il n’en est rien. Les puissants de ce monde continuent comme avant, la cupidité règne.
Symbole de la pression exercée par les humains sur la planète, le « jour du dépassement de la Terre », qui marque le jour où l’humanité a consommé toutes les ressources que les écosystèmes peuvent produire en une année, en 2020 était le 22 août. En France, cette année, le jour du dépassement a eu lieu le 7 mai. Depuis cette date nous vivons à crédit. Si toute l’humanité adoptait un mode de vie semblable au Français moyen, il faudrait 2,9 planètes pour subvenir à ses besoins.
Et je sais bien que j’ai beau acheter bio et ne manger presque pas de viande, je suis un prédateur comme un autre.
Vous êtes gentils avec moi, vous êtes toujours là à m’écouter. Une prédication ne doit pas faire de la morale mais remonter le moral, donner confiance et le sourire !
Alors je vais essayer. Il y a deux ans, François Vouga, pasteur et bibliste suisse, a proposé les deux textes que nous venons de lire.
Prenons d’abord la lettre aux Galates. Pour moi, les deux messages principaux pour notre thème sont : oui, nous avons du mal à faire ce qui nous paraît être juste ; le Seigneur nous aime tels quels et nous offre l’Esprit et son fruit pour sortir de nos cercles vicieux.
Nous lisons, frères et sœurs, « c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
En deux versets, l’apôtre Paul résume le programme de vie du chrétien : une saine estime de soi et une attention bienveillante à autrui, une liberté de choix et d’action qui se joue sur un fond de conflit intérieur entre nos bonnes intentions et résolutions et nos faiblesses et lâchetés.
La traduction œcuménique de la Bible emploie le mot « chair » qui n’est plus du tout d’usage courant. Mais je le préfère à l’expression « penchants humains » de la nouvelle traduction en Français courant qui jette une lumière négative sur « l’humain » dans son ensemble.
Dans le langage biblique, la chair et l’esprit ne sont pas des parties de l’être humain, mais une façon de parler de l’être humain sous différents aspects qui le caractérisent tout entier ; l’homme et la femme sont chair, l’homme et la femme sont esprit.
La chair dit l’humain dans sa faiblesse, marqué par la précarité, l’inclination au péché. L’esprit avec un E minuscule parle de l’humain transformé par Dieu, rendu capable de vivre dans la sainteté.
Notre liberté s’exerce dans cette opposition entre chair et esprit.
Une vie sous la chair, c’est une vie où je prétends me réaliser par mes seules forces, où je cherche à trouver mon identité par moi-même, sans me préoccuper, ni de Dieu ni de mon prochain.
Une vie dans l’esprit, c’est une vie où je me reconnais comme créature, où j’accueille la vie comme un don ; une vie en relation, avec Dieu et avec les autres humains.
Les œuvres de la chair sont nombreuses. Paul en cite 15. Trois dérives liées à la sexualité – libertinage, impureté, débauche – des comportements sans limites, dans la démesure. Les deux suivantes concernent la spiritualité : idolâtrie et magie adorent de fausses divinités. Viennent ensuite des attitudes qui affectent les relations interpersonnelles : haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions et envie. Avec les deux dernières – beuveries et ripailles – nous voici à nouveau dans la démesure physique.
Tout ceci décrit un style de vie orienté par la course à l’avoir et au pouvoir, une forme de bonheur centrée sur soi, égoïste et en compétition. C’est notre société de consommation et du « toujours plus ».
Si je cherche à traduire en faits et gestes d’aujourd'hui la démesure pointée par Paul dans sa lettre aux Galates, je parlerais d’une attitude « maître de l’univers ». Cela va des framboises à noël à Paris à la coupe du monde de football au Qatar dans huit stades climatisés dont la construction a coûté la vie à de nombreux ouvriers ; de la neige artificielle et des télésièges qui montent de plus en plus haut dans les Alpes au bitcoin qui consomme plus d’électricité que les Pays-Bas avec 17 millions d’habitants ; et jusqu’au au trans-humanisme qui s’efforce d’augmenter les capacités intellectuelles, physiques ou psychologiques des gens pour éliminer le vieillissement et in fine la mort.
Le règne de la chair rime ainsi avec l’excès dans le sens de voracité, l’illusion de pouvoir garantir notre avenir, de sécuriser notre vie par nous-mêmes, un rapport malheureux à notre finitude.
L’attitude est individuelle et le fonctionnement est systémique.
Face à la catastrophe écologique annoncée, tout le monde sait ce qu’il faut faire. Et personne ne fait rien. Les politiques mettent l’écologie en avant et font le contraire. Il y a un blocage entre le vouloir et le faire. Paul nous le dit : chair et esprit s’opposent. Résultat : ce que vous voulez faire, vous ne le faites pas.
Cet antagonisme est humain. Je gage que nous connaissons tous l’envie d’être quelqu'un de bien, et pour nous rassurer nous pouvons être tentés de suivre un catalogue de règles et de normes, versus le « je résiste à tout sauf à la tentation ». Paul nous dit encore : Ce conflit entre loi et chair, perdu d’avance, n’est pas une fatalité.
Car il y a la vie sous l’Esprit et il y a le fruit de l’Esprit. Un fruit est donné. Ce n’est pas l’humain qui le fabrique. Je le reçois et peux rendre grâce.
A la base, il y a l’amour, l’agapé. Joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur et maîtrise de soi en découlent, en sont des expressions, des aspects. Ce n’est pas pour rien que ce verset est un des plus connus de la bible. Quelle promesse ! Pour le plaisir, je répète l’énumération : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur et maîtrise de soi.
La vie sous l’Esprit est une vie qui accepte de se laisser orienter par un Autre, qui tourne son regard vers l’Evangile, pour se laisser guider par le Christ, vers la beauté de la création pour rendre grâce au Créateur, vers le prochain, le voisin pour vivre dans l’amour, la solidarité et la fraternité.
C’est une vie où je ne me considère pas tout-puissant, auto-suffisant et indépendant, mais interdépendant, dépendant de la grâce de Dieu et de l’amour des frères et sœurs.
C’est une vie où je ne peux pas prétendre grandir et me construire seul, sans que cela ait une influence sur mon voisin, sans me soucier de lui.
Il y a un appel. Non pas à se priver, mais à gagner. Pas un appel à l’austérité, mais un appel à jouir vraiment de ce qui est donné, à commencer par notre vie, pour en faire notre joie et la joie d’autrui.
C’est cela qui pourrait être notre note de Chrétiens dans le mouvement écologique, trop souvent dans l’angoisse et la culpabilité. Un appel à vivre de l’attitude de gratuité.
Conduit par l’Esprit, nous pouvons nous convertir, nous pouvons écrire un nouveau chapitre.
Regardons maintenant ce que Jésus nous dit dans notre passage du sermon sur la montagne.
Nous pouvons y retrouver des messages assez semblables à ceux de Paul aux Galates. Le mot grec qui est traduit par « inquiéter » signifie « être partagé », « avoir un esprit divisé ». Nous sommes à nouveau dans le conflit intérieur. Puis dans le « regardez les oiseaux du ciel », « observez comment poussent les fleurs des champs » j’entends un appel à une joie tranquille, à jouir davantage du présent plutôt que de consommer et d’accumuler frénétiquement.
Par quatre fois, Jésus nous dit de ne pas nous inquiéter, d’abord au sujet de notre nourriture et de nos vêtements, puis plus généralement du lendemain.
La pandémie est toujours là, la planète se réchauffe, les inégalités sociales s’accroissent, les fake news et mensonges dominent le débat politique, l’intolérance et la violence augmentent, … et il faudrait ne pas s’inquiéter ?
Et bien oui, c’est ce que Jésus nous dit.
Parce que, premièrement, Dieu sait ce dont nous avons besoin. Il s’occupe des oiseaux, il s’occupera d’autant plus des humains !
Parce que, deuxièmement, l’inquiétude est inutile. Ce n’est pas parce que nous nous rongeons les sangs que nous allons rallonger notre vie d’une seconde.
Rejeter l’inquiétude ne signifie pas recommander la passivité.
En Chine, de jeunes gens prônent le lying down. Contre la course à l’avoir et aux études et le trop plein de stress qui va avec, ce mouvement préconise de s’allonger simplement et ne plus rien faire.
Et bien non, l’évangile, lui, il ne nous invite ni à ne rien faire ni à subir. Il nous dit que l’inquiétude n’est pas la bonne arme de combat face aux difficultés de la vie car elle ne permet pas de s’attaquer aux problèmes. Elle fonctionne plutôt comme un frein. Le souci n’est pas le bon compagnon du croyant en temps de crise, car il fait barrage à l’action et au dynamisme.
L’inquiétude vient d’un manque de confiance. Quand le premier confinement a été annoncé, les gens ont dévalisé les supermarchés pour stocker farine, pâtes et papier hygiénique chez eux. La raison voudrait que l’on se procure seulement les produits dont on aura besoin dans un temps limité. Au-delà de ce temps, l’accumulation des provisions ne sert plus à grand-chose, les réserves se conservent mal et ne servent plus à rien sinon à accentuer la pénurie et mettre les autres en difficulté.
Cette inquiétude, ce manque de confiance s’oppose à la foi. A l’inverse, celui qui attend que Dieu fasse tout, quand le besoin s’en fait sentir risque d’être bien déçu. D’ailleurs les oiseaux du ciel sont actifs aussi. Ils vont chercher leur nourriture, ils construisent leurs nids.
Il s’agit de savoir pourquoi on s’inquiète ou pas. Il s’agit d’orienter le souci.
« Regardez », nous dit Jésus. Il nous invite à mettre en activité notre attention. L’attention décide de ce qu’on voit de l’existence. L’engagement détermine comment on se situe dans le monde. Ce qu’on reçoit ne dépend pas de notre activité. Il y a une logique de gratuité du créateur qui correspond à notre propre finitude et limites.
« Observez les fleurs des champs », nous dit Jésus encore. Les fleurs reçoivent gratuitement leur beauté alors qu’elles seront fanées et jetées au feu le lendemain. Elles nous aident à prendre conscience de la finitude et la fragilité de la vie et à faire confiance à ce qui est donné.
Troisième invitation : « Cherchez d’abord le règne de Dieu ». Mettez-vous en mouvement, cherchez la bonne adéquation entre le créateur et la créature. La juste relation au Seigneur nous rend capable d’agir. Dans le règne de la gratuité nous sommes libérés par rapport à la perfection et la culpabilité.
L’avenir n’est pas encore écrit, il est entre les mains de Dieu. Au lieu d’être paralysé par la peur ou la colère, l’évangile nous donne la puissance d’agir, d’inventer, de créer du neuf. A tout instant nous pouvons nous ressourcer dans l’émerveillement devant la création et la louange de notre créateur, la reconnaissance de la créature.
« Cherchez d’abord le règne de Dieu, cherchez à faire sa volonté, et Dieu vous accordera aussi tout le reste. »
Amen