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Pour qui, pour quoi je travaille ?

Prédication du dimanche 15 janvier 2023, par le Pasteur Samuel Amedro

 

Pour qui, pour quoi je travaille ?

 

Prédication du dimanche 15 janvier 2023, par le Pasteur Samuel Amedro

 

Lectures Bibliques :

  • Esaïe 49, versets 3 à 6
  • 1 Corinthiens 1, versets 1 à 3
  • Jean 1, versets 29 à 34 
     

Au moment où on ne parle que de retraite, par pur esprit de contradiction, j’aimerais vous parler de travail, d’engagement et de vocation ! Pour qui, pour quoi on se met au travail ? Quel est donc ce moteur intérieur qui suscite notre désir et notre décision de nous mettre au travail ou d’accepter un engagement ? On parle de restaurer la « valeur travail » mais, de fait, le travail est constamment dévalorisé…

- pour le pouvoir d’achat, entend-on de toute part ! Personne ne l’avouera au fond tellement cette motivation semble triviale, presque vulgaire, tant l’argent fait sale. Mais, Adam Smith, premier penseur du capitalisme, voyait le travail comme un « sacrifice de repos, de liberté et de bonheur »[1], un mal nécessaire pour se procurer l’utile : argent et loisir.

- véritable variable d’ajustement, le travail est toujours considéré par les employeurs comme un coût, une charge dans un budget. Même quand on parle de ressources humaines , on cherche par tous les moyens à le remplacer par des machines ou l’IA. Sauf quand il est rendu invisible pour assurer des tâches indispensables mais pénibles et peu valorisées (ramasser nos poubelles, livrer nos colis Amazon ou Uber Eat), le travail dénié pour le reporter sur le consommateur (se servir à la pompe, caisses automatiques dans les supermarchés, numérisation de l’administration, médecine…)

- en tout cas le travail est toujours associé à quelque chose de pénible : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front (Gn 3,19) Pendant longtemps j’ai cru à cette fausse étymologie qui affirme que le tripalium était un supplice alors que ce n’est qu’un trépied qui assure la stabilité de la société…

- et puis, quand sont apparus dans l’espace public et dans les médias des thèmes tels que le ‘Salaire universel’ ou le ‘Droit à la paresse’, est revenue la question de l’engagement, de la motivation, du désir de se mettre au travail ? Pourquoi j’irais travailler ? Quelle valorisation j’en attends ? Quel épanouissement ? Quelle croissance personnelle ? Quelle réalisation de soi ? Quelle reconnaissance sociale ?

Toi, tu es mon serviteur… Le Seigneur déclare qu’il m’a façonné quand j’étais encore dans le ventre de ma mère pour que je sois son serviteur. Comment recevoir une telle revendication posée sur nos existences ? Il n’est pas évident du tout de s’entendre dire qui on est par un autre que soi-même, fût-il Dieu lui-même ! (ou alors réservé aux seuls pasteurs…)  Tout dans notre culture issue de la Réforme et des Lumières est basé sur une revendication d’autonomie de l’individu qui se définit lui-même par ses choix. La liberté de conscience est le fleuron de cette compréhension de l’individu qui n’est plus défini par le groupe. Bref : on veut pouvoir décider pour soi-même de sa place et de son travail et on assiste actuellement à un phénomène de « grande démission ». Dans son livre « Être à sa place » la philosophe Claire Marin[2] explore toutes les stratégies pour s’arracher aux déterminismes, aux contraintes, aux prisons psychologiques et sociétales qui nous assignent à une place que nous n’avons pas choisie. Pour accepter un travail, une mission, pour être en mesure de s’engager, il n’est pas possible d’exiger une obéissance aveugle : nous avons besoin d’adhérer personnellement. Pour nourrir notre motivation nous avons besoin de nous sentir associés à la décision et non de la subir comme une contrainte : la demande de l’autre qui m’invite à m’engager doit rejoindre mon désir propre dans une association libre et volontaire. Ainsi, dans les entreprises, le management participatif ou collaboratif est venu remplacer le management hiérarchique paternaliste descendant. Dans l’espace public, la démocratie représentative rencontre des problèmes de légitimité face à la valorisation de la démocratie participative parfois avec des relents populistes. Nous pourrions filer l’analogie dans la vie de notre Église (fonction synodale, difficulté à trouver des responsables qui s’engagent).

Et pourtant nos 3 textes du jour semblent dire le contraire : « Tu es mon serviteur » « Lui qui m’a formé depuis le sein maternel pour être son serviteur » « Moi Paul appelé à être apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu » « A ceux qui appartiennent à Dieu par l’union avec Christ Jésus, appelés à vivre pour lui » et puis Jean-Baptiste : « Moi je ne le connaissais pas mais Dieu qui m’a envoyé baptiser d’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer c’est lui qui baptise d’Esprit Saint »

Esaïe, Paul, Jean-Baptiste et même Jésus (mais nous pourrions parler de Moïse, de David, des 12 disciples appelés les uns après les autres) : tous sont appelés, convoqués, revendiqués par le désir et la volonté d’un Autre. Ainsi naît l’idée de responsabilité comme volonté de «  répondre de » notre vie par un « Me voici ! » comme Samuel répond à l’appel de Dieu (1 Sam 3,1-18).

Alors, prédestination ou vocation ? Je voudrais ici citer Pierre-Olivier Monteil qui écrivait la semaine dernière dans un excellent hebdomadaire protestant  (dont je tairais le nom) : « On résume parfois la contribution de la Réforme à la question du travail, à la thèse de Max Weber dans l’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme. Selon Weber, Calvin énoncerait, par la doctrine de la double prédestination, que le salut est hors de portée humaine puisque décidé par Dieu seul. Mais les puritains du XVIIe siècle auraient interprété leur réussite économique comme un indice de leur salut, ce qui les aurait incités à s’y investir avec méthode, contribuant à l’essor du capitalisme. Cette analyse privilégie la notion de mérite… Paul Ricoeur estime cependant que le sociologue surévalue chez les puritains l’importance de la prédestination et sous-estime celle de la vocation. Il réhabilite ainsi un engagement positif dans le travail et la primauté de la grâce, distincte du mérite. »[3]

Être appelé par d’autres participe au sentiment d’avoir une mission. Dans notre compréhension du travail comme vocation, on ne s’autoproclame pas et il n’est pas question de campagne électorale pour se jouer des coudes ou se faire une place au soleil. La motivation personnelle que l’on pourrait appeler vocation interne est toujours confortée par la reconnaissance de cette vocation par d’autres qui confirment ainsi qu’on ne se prend pas pour Jeanne d’Arc et qu’il n’est pas utile de faire appel tout de suite à un psychiatre. La parole de l’autre qui m’interpelle et me reconnaît dans ma vocation est ici essentielle. Elle garantit que je ne suis pas en train de me raconter des histoires, elle me conforte en me disant que ce que je ressens n’est pas un délire mystique ou une élucubration imaginaire. Cet appel est porté par d’autres, tel Jean-Baptiste qui ne connaissait pas Jésus et pourtant qui discerne en lui l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Notre raison d’être, le sens de notre vie n’est donc pas seulement ni même principalement choisi mais aussi donné et surtout conforté, confirmé par une parole qui nous convoque et nous revendique dans tout notre être : Tu es mon serviteur, l’Israël dont je me sers pour manifester ma gloire.

Immédiatement apparaissent réticences et résistances :

- la fatigue : moi j’ai dit : c’est pour rien que je me suis fatigué : mes forces sont trop petites, pas assez d’argent, de volontaires, de jeunes, de temps, de place…

- la vacuité : je me suis donné du mal pour rien, pour du vent : efficacité non visible, on sème et on ne récolte pas, à-quoi-bonisme du « Ça ne sert à rien »…

- je sens bien le côté désabusé du lot de consolation : Le Seigneur garantit mon droit, mon Dieu détient ma récompense…

J’hésite dans l’interprétation… Est-ce de l’autoflagellation mortifère que nous connaissons bien dans nos Églises, cette capacité à dire du mal de soi, cette tentation de l’autodénigrement qui confine parfois à la haine de soi ? A moins que ce ne soit de l’humilité orgueilleuse, si vous me permettez cet oxymore, qui masque mal la peur de l’échec et la manœuvre dilatoire pour éviter de se mobiliser et fuir en rase campagne, genre Jonas qui doit prophétiser contre Ninive et qui prend la tangente ?

Moi j’y vois la nécessité qui se dit de se sentir en capacité pour accepter une mission, une tâche, un engagement. La bonne volonté ne suffit pas. Il faut des forces et il faut des compétences. Encore faut-il se sentir capable pour ne pas s’épuiser dans une tâche insurmontable, hors de portée. Dieu ne nous envoie pas au casse-pipe. Nous ne sommes pas de la chair à canon. Mon Dieu est ma force dit le prophète Esaïe et cela nous importe de savoir que nous ne sommes pas seuls sur le pont et qu’il ne nous demande pas de nous donner en martyre (et d’ailleurs ça m’arrange ! cf. Rm 12,2 : il est question de sacrifice vivant !)

 J’entends également le besoin d’être associé aux finalités et de voir le résultat possible de ce qui est attendu. Il faut que cela ait du sens pour nous. Je veux bien mettre toutes mes forces dans la bataille mais pour cela j’ai besoin de récolter quelque fruits ou à tout le moins de les voir pousser et que je me dise : ahhh ça vaut le coup ! Je ne me lève pas pour rien, ça fait sens, c’est utile, ça sert la cause. Pour obtenir un engagement il est nécessaire d’intégrer la notion de sens et donc d’utilité et pas seulement pour dans le Royaume de Dieu !!! Il y a du ‘ici et maintenant’, il faut toucher du ‘déjà là’. Jésus dit cela dans Jn 15,15 :  je ne vous appelle plus serviteurs parce qu’un serviteur ne sait pas ce que fait son maître mais amis parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon père. Dans notre texte d’Esaïe, cela ne suffit pas forcément de se dire Dieu détient ma récompense… question motivation, c’est un peu fragile, comme si Dieu nous disait : t’occupe pas de la marque du vélo, pédale !! Ce n’est pas ce que Dieu dit : Cela ne suffit pas que tu sois à mon service pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël (but intermédiaire et partiel, étape nécessaire mais non ultime dans le projet de Dieu), je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut s’étende jusqu’au bout de la terre. Nous voilà admis dans le conseil secret de Dieu, comme dirait Calvin, associés et collaborateurs. Il nous dit : voilà l’objectif final, la visée ultime, voilà le plan global… et vous avez votre part et votre place privilégiée dans ce plan. Tout ne repose pas sur vos épaules, vous n’êtes pas chargés de sauver le monde, mais Dieu a besoin de vous pour prendre votre part ! Et c’est ça votre travail.

C’est toi mon serviteur, l’Israël dont je me sers pour manifester ma gloire… Manifester la gloire de Dieu : terme technique pour dire la présence de Dieu. Notre raison d’être consiste à rendre Dieu présent au cœur du monde. De manière plus modeste, on pourrait se reconnaître dans la mission de Jean-Baptiste : désigner celui qui ôte le péché du monde, l’agneau de Dieu. Mission de discernement pour décrypter le monde et y lire les traces de la présence de Dieu qui se dévoile, désigner le Christ quand il se présente. Cf. Le retable de Wittemberg par Lucas Cranach l’ancien, dit « Le retable de la Réforme » : le baptême, la Cène et la prédication (Luther désigne le Christ)

Mais Esaïe utilise un autre mot : la parure, la splendeur : il s’agit de montrer quelque chose de la beauté de Dieu, de sa splendeur. Dans nos cultes, nos liturgies, notre musique, nos bâtiments, notre vie, notre métier : la fonction de l’émerveillement devant la beauté qui sauvera le monde (comme dit le Prince Mnouchkine, le héros de Dostoïevski dans L’idiot) Clé de discernement et sans doute une manière d’être témoin par sa vie : donner corps à la beauté de Dieu !! C’est pas rien quand même…

A la question pour qui ou pour quoi je travaille, nous avons glané 4 éléments essentiels pour que nous puissions accepter notre mission en pleine connaissance et en pleine conscience :

- La motivation : le désir intérieur pour une adhésion volontaire

- La force nécessaire et la compétence requise

- L’utilité et le sens : être associé à la finalité

- L‘appel : la confirmation et la reconnaissance par la parole de l’autre

Comme les 4 pieds de la chaise, les 4 ensemble font système, ils se complètent et se renforcent. 4 outils de discernement pour accepter un travail, un engagement, une mission. Ainsi vous saurez pour qui et pour quoi vous travaillez ! Efficace dans votre vie professionnelle ou dans la vie de l’Église. Vous transformerez une prédestination en vocation. Ou pour le dire avec les mots de Paul Ricoeur que je laisse à votre méditation : vous aurez transformé « un hasard en destin par un choix continu[4] ».

 

[1] Adam Smith, Théorie des sentiments moraux (1790)

[2] Claire Marin, Être à sa place, Éditions de l’Observatoire, 2022.

[3] Pierre-Olivier Monteil, Réforme 3976, janvier 23

[4] Paul Ricœur, La Critique et la Conviction, Calmann-Levy, 1995, p.219.