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Promis à une autre terre

Prédication du dimanche 23 juin 2024, par Loup Cornut

 

Promis à une autre terre

Prédication du dimanche 23 juin 2024, par Loup Cornut

 

Lecture biblique : Deutéronome 34

 

L’homme Moïse

La fin du Deutéronome, avec cet ultime chapitre 34 est l’occasion d’une récapitulation de la vie de Moïse. Dans ces quelques versets, dans cet improbable moment suspendu avec Dieu, Moïse apparait dans tout ce qu’il a de différent par rapport aux autres membres de son peuple, bien sûr, mais aussi aux autres prophètes.

Moïse meurt sur l’ordre ou « par la bouche du Seigneur ». Le Seigneur retire la parole et le souffle à celui qui a été son porte-parole. Pendant des années, inlassablement, Moïse a porté le message de Dieu ; à pharaon, à son peuple ensuite. Moïse, porte-parole mais aussi prophète. Moïse qui a toujours été empêtré dans le langage : lui qui a grandi entre deux cultures, deux langues (l’hébreu de sa mère biologique qui l’élève) et l’égyptien de la famille de Pharaon dans laquelle il grandit. Lui, le bègue, s’est retrouvé porte-parole de Dieu…

Dieu ensevelit lui-même Moïse. Moïse n’était plus tout à fait parmi les hommes ; il était déjà sur un chemin vers le ciel. Peut-être est-ce parce qu’il passé trop de temps au sommet des montagnes pour converser avec Dieu et recevoir ses règles et recommandations. Moïse a séjourné deux fois sur la montagne, simplement pour recevoir les tables de la Loi. Il y a séjourné plus tard, pour recevoir les recommandations que Dieu voulait lui voir transmettre au peuple. Ses absences ont toujours été trop longues aux yeux du peuple. Le peuple se sentait abandonné et cherchait un autre guide. Moïse en revenait aussi différent, transformé. Au fil du temps, de ses séjours au sommet de la montagne, de ses rencontres avec Dieu, Moïse s’est peut-être fait de moins en moins humain. Placé en intermédiaire entre Dieu et son peuple, il préfigurait Jésus qui sera lui, pleinement divin et pleinement humain.

 

D’ailleurs il fut le seul auquel Dieu s’adressait face à face. Il a été littéralement irradié de la puissance divine. Peut-être en le regardant, le peuple voyait-il déjà les prémices de la transfiguration sous laquelle il apparaitra bien plus tard face à Jésus et aux côtés d’Elie.

Moïse est d’ailleurs présenté comme un grand intercesseur : il intercède au moment des plaies envoyées sur l’Égypte, il intercède aussi en faveur de Myriam comme en faveur de son peuple lors de son séjour au désert. En ce sens, il est souvent noté que son intercession préfigure celle du Christ. Nous en trouvons un exemple dans le livre de l’Exode, au chapitre 32 : « Moïse chercha à apaiser le Seigneur, son Dieu ». D’ailleurs, le texte dit littéralement « Moïse caressa la face de Dieu ». Nous retrouvons là ce qui distingue Moïse de tous les autres prophètes : il parlait face à face avec Dieu.

 

 

Le refus de la terre

A la toute fin du Deutéronome, au chapitre 34 que nous venons d’écouter, Moïse meurt, en dehors de la terre promise. La promesse est, une fois encore, soulignée par le faire voir et le dire de Dieu – Dieu montre à Moïse toute l’étendue de la terre promise. Et le texte mentionne le successeur de Moïse, Josué. On pourrait donc s’attendre à une suite. Or, si on en tient au « canon », aux textes qui ont été retenus pour constituer la Torah, la suite fait défaut. La Torah s’arrête là. Thomas Römer souligne que « la Torah s’achève par un non-achèvement ».

 

Le territoire promis à Moïse correspond à celui promis par Dieu en Genèse 13,14-15 : « Le Seigneur dit à Abram, après que Loth se fut séparé de lui : Lève les yeux, je te prie, et regarde, depuis le lieu où tu es, vers le nord, vers le sud, vers l’est et vers l’ouest ; tout le pays que tu vois, je te le donnerai, à toi et à ta descendance, pour toujours. »

Il n’entrera pas dans le pays ; c’est la suite de l’épisode de Nombres 13-14, les conséquences de la punition et de la colère de Dieu, de son découragement, peut-être.

Au fil du temps, Moïse se défait de la terre dont les hommes sont issus. Mais, contrairement au prophète Elie qui sera emporté vivant au ciel, Moïse retourne bel et bien à la terre. Mais c’est Dieu qui s’en charge. Dieu lui-même ensevelit Moïse. Il a pour lui les gestes, le soin que ceux de sa famille, de son peuple devrait avoir.

En le faisant, Dieu le soustrait à son peuple. Il ne permet pas au peuple de savoir où Moïse est enterré. Dieu le met en terre tout en le privant de la terre. L’histoire de Moïse, c’est bien de voir la terre promise mais de ne jamais pouvoir y entrer. Et, faisant du lieu de sa sépulture un lieu inconnu, Il prive le peuple d’un lieu où se recueillir. Si le peuple avait enterré lui-même Moïse, il aurait pu vouloir, au fil du temps, revenir sur le lieu de sa sépulture, y rendre un hommage, voire un culte. Or, pour ce peuple, la terre dans laquelle repose Moïse ne doit pas devenir sa terre.

Il faut que Moïse meure au désert pour que l’histoire du peuple puisse se poursuivre en Canaan.

 

Dieu fait tout pour faire avancer son peuple vers un autre pays. Il l’a fait sortir d’Egypte et le séjour au désert ne doit être qu’un séjour, quand bien même toute une génération devrait y mourir. Le peuple doit accéder au pays que Dieu lui a promis. Il l’a refusé une fois déjà. C’est ce que nous avons lu il y a deux semaines avec le récit des représentants de chaque tribu envoyé pour découvrir ce fameux pays où coule le lait et le miel. C’est le récit que les enfants ont également étudié au jardin biblique et à l’école biblique, cet épisode relaté au livre des Nombres, aux chapitres 13 et 14. Moïse transmet au peuple la promesse de Dieu : Dieu leur livre un pays d’abondance, où la terre est si fertile que le lait et le miel y coule. Moïse, précautionneux, envoie un émissaire par tribu pour découvrir le pays, l’étudier et en faire ensuite un rapport détaillé. Il ne faudra pas moins de 40 jours aux émissaires (parfois qualifiés d’espions) pour parcourir le pays et en étudier les richesses. A leur retour, ils ne peuvent que raconter la fertilité, l’abondance de cette terre. Caleb, le chef d’une des tribus, convaincu par ce qu’il a vu, annonce sans hésiter qu’il faut prendre possession du pays. Les autres ont vu comme lui les richesses, mais ils ont aussi vu les villes solides et prospères et la population vaillante. Ils redoutent le combat à mener pour prendre possession du pays. Ils trouvent de faux arguments pour renoncer. Malgré la promesse faite par Dieu, ils font le choix collectif de renoncer au pays que Dieu leur donne. Ils préfèreraient encore retourner en Egypte. Ils s’enlisent intentionnellement dans le désert.

 Accéder à Canaan, c’est revenir à la lourdeur des choses, au pain qu’il faut pétrir, à la vigne qu’il faut planter. Ces hommes n’en veulent pas. Ils préfèrent mourir, rivés au désert, dans le no man’s land de la pure séparation. C’est au sens propre qu’il faudra donc entendre le désir porté par leur revendication : « Que ne sommes-nous morts dans le pays d’Egypte ou, que ne mourons-nous dans ce désert… ? » (Nombres 14, 2)

Mais Dieu veut qu’ils avancent. C’est pour cela qu’Il garde secrète la sépulture de Moïse, ce serait une raison de plus pour le peuple de ne pas se diriger vers la terre promise. D’ailleurs, les corps des envoyés qui sont morts faute d’avoir voulu suivre Caleb, sont réduits en poussière. Pour eux non plus, il n’y a pas de sépulture sur laquelle revenir. Le désert efface les traces pour que le nouvel ancrage du peuple ne puisse se faire que sur la terre promise.

 

 

Une autre terre promise

La promesse reste ouverte.

Malgré le passage des années, Moïse n’avait rien perdu de sa vigueur. Plus que sa vigueur physique, on peut saluer sa ténacité dans son rôle de porte-parole. Inlassablement, malgré les récriminations, les entêtements, les divagations, les errements, du peuple, Moïse a, sans relâche, transmis, enseigné et partagé les paroles du Seigneur. Autant de fois que nécessaire, malgré les circonstances, la fatigue, la fuite, l’exil, il n’a jamais cessé de faire de son mieux pour que le peuple se réponde à la promesse de Dieu. Il aurait littéralement pu baisser les bras. Notamment quand il devait garder les bras levés pour que le peuple sorte victorieux du combat. Pour éviter qu’il ne baisse les bras, on a placé des bâtons sous ses bras pour le soutenir. Moïse ne s’est jamais laissé gagner par la réticence du peuple. Le texte nous dit « son œil ne s’était pas affaibli ». Il savait dans quelle direction regarder. Il regardait vers l’avenir, son regard tourné vers la terre promise. Il pourra d’ailleurs l’embrasser du regard, avant de mourir. Cette expression résume le passage que nous lisons ce matin : Moïse « embrasse » la terre de son regard et Dieu le fait mourir « par sa bouche ». Moïse regarde toujours vers l’avenir, celui de la promesse, faisant le choix radical de l’espérance alors que le peuple a tendance à se retourner pour regarder vers le passé. Alors qu’il a fui l’Égypte et que les émissaires ont fait le récit des merveilles de la terre promise, le peuple voudrait bien faire demi-tour et regarder à nouveau vers le pays de l’esclavage. Comme le disait Christian Baccuet dans sa prédication « la terre promise, une histoire complexe » et citant les mots du théologien Jorgen Bultmann, il rappelait la force de ses textes qui sont un encouragement à l’espérance. A se tourner résolument et avec confiance, vers l’avenir.

Et ce n’est pas pour rien que Martin Luther King, dans son dernier discours, cite le passage du Deutéronome que nous lisons aujourd’hui. « I’ve been to the mountaintop » dit-il en introduction de son discours. « je suis allé jusqu’au sommet de la montage »… Il le sait, probablement comme Moïse, il ne vivra pas l’avenir qu’il construit pour son peuple, en l’occurrence la population noire des Etats-Unis. Il ne s’adresse d’ailleurs pas uniquement aux afro-américains ; ils parlent aux opprimés, ils parlent à ceux qui subissent l’esclavage moderne. Ce discours, cet ultime discours, il l’adresse à des ouvriers en grève. Il prend l’exemple de Moïse et fait de ses mots les siens : sa foi en Dieu, la confiance qu’il a en Lui, lui ont permis de gravir la montagne. Martin Luther King est convaincu qu’une autre société est possible. Un idéal d’égalité et d’équilibre économique, une terre promise pour les ouvriers auxquels il s’adresse. Il leur dit qu’avec la confiance, leurs forces seront plus grandes et que, même si le combat à mener est difficile, ils pourront l’emporter.

Notre terre promise s'appelle le Royaume. Aucun de nous n'espère l'atteindre de son vivant. Mais on s'efforce d'y tendre, de le construire, de le faire advenir pour les générations futures.

Nous n'avons pas prétention à être des prophètes, mais nous sommes appelés à être des témoins. Nous recevons les paroles de Dieu, non pas face à face, mais par les mots de son fils qui a eu visage humain. Nous sommes prophètes/témoins ; appelés à annoncer et partager le monde auquel nous croyons, que nous souhaitons construire et que nous espérons pour tous les humains qui peuplent la terre. 

Amen