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Viens, cher dernier jour !

Prédication du dimanche 17 novembre 2024, par Nicolas Liébault

 

« Viens, cher dernier jour ! »

 

Prédication du dimanche 17 novembre 2024, par Nicolas Liébault

Lectures bibliques : 

  • Daniel 12, versets 1 à 3
  • Hébreux 10, versets 11 à 14 et 18
  • Marc 13, versets 24 à 32

 

 

Chers frères et sœurs,

 

On démarre souvent une prédication par une belle image à même d’illustrer les lectures du jour. Or, ici, les lectures consistent presqu’entièrement en des images. Alors comment rendre compte des épisodes déjà imagés ? Faut-il même en rendre compte, tant elles semblent parler d’elles-mêmes si l’on s’en tient au pied de la lettre ? Quelles images en effet ! Dignes des films de Cecil B DeMille et de George Lucas ! Le découpage proposé des textes bibliques par nos Eglises fait débuter les lectures « après » les diverses tribulations vécues par le peuple. Dommage peut-être car les détresses ainsi décrites juste au-dessus sembleraient nous parler davantage, moins tournées vers les effets spéciaux. Elles renvoient en effet à des situations en partie vécues. Elles pourraient faire écho aux catastrophes que nous connaissons concrètement sur la planète.

 

La profession de foi de notre Eglise protestante unie de France affirme, je cite, que « Dieu se soucie de toutes ses créatures et il nous appelle, avec d’autres artisans de justice et de paix, à entendre les détresses et à combattre les fléaux de toutes sortes : inquiétudes existentielles, ruptures sociales, haine de l’autre, discriminations, persécutions, violences, surexploitation de la planète, refus de toute limite. » Et, en effet, à rebours d’une lecture un peu rapide des récits de la fin des temps, ce n’est pas Dieu qui déclenche lui-même des cataclysmes pour mieux nous mettre à l’épreuve et sauver ceux qui persisteront dans la foi. Ce serait une forme de sadisme, voire de perversité. Le texte de Marc en rend responsable celui qu’il nomme « l’abominable dévastateur »… et non Dieu. Quand le Seigneur intervient, dit le texte, c’est au contraire pour, je cite, « abréger » ces jours de détresse, du moins pour sauver « ceux qu'il a choisis ».

 

Pour ce qui est du texte de Marc, tous les êtres humains semblent concernés par ce cataclysme. Jésus annonce ainsi : « nation se dressera contre nation et royaume contre royaume ; dans divers lieux il y aura des tremblements de terre, il y aura des famines », une détresse telle qu'il n'y en a pas eu de semblable depuis le commencement du monde que Dieu a créé. La vertu de cette universalité dans le malheur est qu’elle écarte tout critère de mérite dans le salut. Par ce caractère universel, le récit empêche de penser, comme on le croit aujourd’hui parfois, que nous-mêmes nous passerons entre les gouttes de la destruction, car notre génération ne serait pas englobée dans ces mauvais jours. Car nous n’avons rien à nous reprocher en tant que paisibles protestants d’arrondissements parisiens, n’est-ce pas ? Il écarte toute consolation à bon compte.

 

Du moment de la venue du Fils de l’Homme dans sa gloire, par définition, on ne sait rien. Et pourtant la détresse extrême semble déjà présente dans le monde actuel, ce qui pourrait nous induire à rapprocher notre époque de ce que décrit ce texte pourtant vieux de plusieurs millénaires. En effet, le réchauffement climatique global semble mettre en péril, d’après les scientifiques, l’existence de l’humanité elle-même. Alors je pose la question : sommes-nous effectivement entrés dans les « fins dernières » de notre monde ? Dans l’histoire du protestantisme, la fin des temps a été annoncée à de multiples reprises. Martin Luther s’était lui aussi fendu d’une date, l’année 1540. Or, pour l’instant toutes ces échéances fatidiques ont été dépassées sans encombre. On le saurait si elles s’étaient révélées exactes !

 

L’originalité de notre époque est que les prophéties ne proviennent plus de groupes chrétiens inspirés mais d’une communauté scientifique dépouillée de références théologiques. Par un effet de renversement saisissant, là où précédemment la science comportait une promesse de progrès permanent alors que les chrétiens pouvaient véhiculer une vision pessimiste de l’homme, désormais c’est la science qui annonce l’apocalypse et le christianisme qui adopte une conception optimiste de l’avenir humain. La résurrection de la chair est-elle si peu prêchée parce que précédée de ces malheurs qui nous gênent ? Est-ce pour cela que les « fins dernières » ont presque disparu du discours chrétien ordinaire… ce qui rend d’ailleurs nos lectures du jour « difficiles » m’ont confié des paroissiens avant le culte ? La foi ne semble plus, notamment pour les nouvelles générations, un quelconque remède à leur éco-anxiété. Ces jeunes renvoient d’ailleurs la responsabilité de la destruction sur les générations précédentes, celles qui n’ont pas anticipé la crise, plutôt que sur le « dévastateur ».

 

Pourtant est-ce que les textes du jour ont encore quelque chose à nous dire à nous chrétiens ? Le terme de « détresse » employé par Marc est apparenté en grec à celui de « presser », c’est-à-dire qu’il signifie une force extérieure s’exerçant uniformément sur une surface. Elle rend compte par conséquent des prémisses de destruction plus que de la destruction elle-même. La fin des temps n’est pas un nouveau déluge. C’est la conception d’un temps qui paraît se raccourcir, mais sans savoir précisément de quoi demain sera fait. Ce raccourcissement du temps c’est bien ce que nous ressentons aujourd’hui quand on nous dit que la température moyenne mondiale ne doit pas dépasser les 2 degrés, à savoir la moyenne saisonnière de l’ère préindustrielle… et que nous sommes déjà à 1,5 degré donc très proches !

 

Je me suis rendu à la Procure pour préparer cette prédication et j’ai été étonné quand le libraire m’a expliqué que les ouvrages traitant des « fins dernières » figuraient à deux endroits distincts de la librairie. L’un de ces rayonnages comprend des traités où la « parousie », le second avènement du Christ, est considérée comme une partie de la théologie classique, traitée de manière abstraite. Un autre rayonnage, beaucoup mieux mis en valeur, contient quant à lui des brochures imagées qui annoncent la fin du monde à partir des signes contemporains. Dans ce dernier cas, des personnages d’exception ont la plupart du temps des « visions » qui leur permettent, nouveaux prophètes, d’interpréter ces signes. La seconde catégorie d’ouvrages est plus récente et plus importante en volume que la première.

 

La bonne nouvelle dans Marc est qu’il existe un « après » la détresse. Les signes annoncés, à savoir « le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa clarté, les étoiles tomberont du ciel », ne sont pas intégrés à l’étape de la détresse mais à la période qui la suit. Des signes similaires sont d’ailleurs ceux d’autres « chutes » dans l’Ancien testament, à savoir celle de Babylone dans Esaïe et celle de l’Egypte dans Ezéchiel. Mais Jésus annonce que « cette génération », à savoir le temps qui sépare la naissance du père de celle du fils, « ne passera pas que tout cela n'arrive ». Or, la génération de l’époque est bien passée, et beaucoup d’autres, malgré l’espérance des contemporains. D’ailleurs, nous dit Marc, même le Fils ne sait pas quand cela arrivera, « seul le Père le sait ». Ne demeure donc que la confiance, car Jésus affirme que ses « paroles elles ne passeront pas », qu’elles subsisteront à la destruction du monde. Comme dit Luc ailleurs, « il est plus facile pour le ciel et la terre de passer que pour un seul trait de lettre de la Loi de tomber. »

 

Alors prenons au mot le récit pour en dégager le sens malgré des termes un peu « plombés » par des siècles de jargon théologique. Si cette nuit totale émerge avec la fin du soleil, de la lune et des étoiles, c’est bien pour que le Fils de l’homme surgisse dans « les nuées », la nuée étant une apparition lumineuse une fois que toutes les lumières se sont éteintes. C’est la manifestation visible de la présence invisible de Dieu, définition même du mot « gloire ». Cette promesse n’est pas abstraite car cette présence apparaît sous les traits d’un être humain, le « fils de l’Homme ». Celui-ci envoie alors des « anges », en fait des messages, et « rassemble des quatre vents, de l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel » ceux qu’il a choisi. On peut imaginer que ce même « ciel » est composé des vivants mais aussi des morts. Cela fait écho au tout dernier discours de Moïse quand il déclare dans le livre du Deutéronome : « Quand tu serais banni aux extrémités du ciel, ton Dieu te rassemblera de là, il te prendra de là ».

 

Ces concepts étant difficiles à appréhender pour ses auditeurs, Jésus nous propose tout de suite après, comme à son habitude, une parabole, à savoir celle du figuier, cet arbre que lui-même avait d’ailleurs maudit précédemment dans la mesure où il était sans fruit rappelons-nous. Il se trouve que je possède moi-même dans mon salon un ficus, le figuier étant une sous-espèce particulière de ce dernier, mais la plante qui pousse chez moi ne portera jamais de fruit m’a dit le fleuriste, et j’étais un peu triste. En réalité la figue n'est pas à proprement parler un fruit mais un « faux fruit », les véritables fruits du figuier étant les petits « grains » qui se trouvent à l'intérieur de la figue et qui, vous le savez, crissent sous la dent quand on les mange. On mange donc de nombreux fruits en pensant en manger un seul. Après la multiplication des pains, voici la multiplication des fruits.

 

Que veut signifier Jésus avec cette image du figuier qui multiplie les fruits ? Que la nouvelle ère qui s’annonce n’est pas celle de la mort mais celle de la vie. D’ailleurs la figue est aussi le symbole de l’éternité dans d’autres civilisations, comme en Inde. Le Bouddha a aussi connu l’éveil sous un figuier. Et la louve découvre Romulus et Remus sous un ficus, m’a révélé « saint Wikipédia priez pour nous ». Plus précisément, dans le texte de Marc, quand les branches deviennent tendres, qu’elles « bourgeonnent », on sait que l'été de la recréation est proche, la figue étant aussi l’image commune d’une vulve et d’un scrotum, symboles de la fécondité. On perçoit donc l’inconnaissable grâce à cette image, à savoir que le fils de l’Homme est proche, à nos portes. « Si quelqu’un l’entend et ouvre la porte, il entrera chez lui et ils dîneront ensemble », est-il écrit dans le livre de l’Apocalypse. Ce dîner avec Jésus est aussi cette cène que nous allons partager ensemble tout à l’heure.

 

Je voudrais finir sur un point délicat même si le texte de Marc ne s’y appesantit pas : le fait que Jésus sauvera « ceux qu’il a choisi ». De ce point de vue, le prophète Daniel, dans l’autre extrait que nous avons lu, est beaucoup plus explicite : « Une multitude, qui dort au pays de la poussière, se réveillera - les uns pour la vie éternelle et les autres pour le déshonneur, pour une horreur éternelle ». Pour Daniel, le critère de ce salut est notamment le fait d’avoir « amené la multitude à la justice ». On n’est pas loin du salut par les œuvres. Mais l’apôtre Paul lui répond plusieurs siècles plus tard, en écrivant, dans sa lettre aux Hébreux, que les sacrifices ne peuvent jamais ôter les péchés, et que, grâce au Christ, « là où il y a pardon des péchés, il n'y a plus d'offrande pour le péché ». Le dernier jour n’est donc pas un « jour de colère » mais un « jour bienheureux », promesse de délivrance pour l’ensemble des créatures pardonnées, un jour dont il faut sans cesse demander à Dieu la survenue plutôt d’en être épargné comme d’une catastrophe.

 

Alors, comme Martin Luther l’écrivait constamment à la fin des lettres destinées à ses correspondants, exclamons-nous : « Viens, cher dernier jour ! ».

 

Amen.

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