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Dieu, une relation donnant-donnant ?

Prédication du dimanche 6 avril 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Dieu, une relation donnant-donnant ?

Prédication du dimanche 6 avril 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Lecture biblique : Luc 15, versets 11 à 32

 

Voilà donc la fameuse parabole dite du fils prodigue, ou du fils perdu et retrouvé. Ou bien est-ce la parabole du fils resté et dépité ? Ou encore celle du père aimant et accueillant ?

Nous avons de nombreuses portes d’entrées lorsque nous ouvrons notre Bible, lisons un texte et cherchons ce qu’il veut nous dire aujourd’hui ! Et aujourd’hui je vais choisir une petite porte d’entrée, parce qu’en lisant ce texte et face à la réaction du fils ainé je me suis dit que c’était d’une actualité malheureuse…

Jésus, comme d’habitude, n’est pas là pour nous épargner ! Avec cette parabole nous pouvons trouver quelque chose de familier, avec nos familles, nos amis, ou plus largement avec la société ! L’accueil d’un frère qui est revenu de la mort, un frère qui était perdu puis retrouvé ! On peut penser cette parabole de manière spirituelle, en pensant à ceux qui ont pu nous blesser, ou ceux dont nous sommes jaloux ! Ou nous pouvons penser cette parabole de façon plus quotidienne et peut-être matérielle, sur notre manière d’accueillir un frère très simplement, un frère qui fait les choses différemment de nous mais qui n’en est pas moins notre frère ! Et c’est cette porte là que je vais ouvrir aujourd’hui, une petite porte mais qui en dit long !

Reprenons un peu notre histoire ! Un père, deux fils. Le fils cadet qui demande son héritage et qui s’en va ! Il vit ce qu’il pense avoir à vivre pendant ce temps loin de sa famille.

Et au fil de son voyage, le fils cadet se rend compte qu’il manque de ce qui est essentiel pour vivre ! Et dans son manque il se tourne vers son père. Dans notre texte son manque est très physique, il n’a pas assez à manger. On touche là à quelque chose de vitale. Il meurt de faim, il se retrouve à presque manger ce que mange les porcs ! Nous pouvons, nous, réfléchir à ce qui intérieurement, en nous, nous manque et qui est vital, pour lequel nous aurions besoin de nous tourner vers un endroit nourrissant.  

Et le père, lui, se fiche de la raison pour laquelle son fils revient à lui ! Peu importe que ce soit par affection ou pour des raisons matérielles, il l’accueille sans conditions !

Et la réaction du père peut être surprenante, ou pas ! Un père qui voit arriver son fils dont, on peut imaginer, il n’avait plus de nouvelle depuis des mois ! Son père le prend dans ses bras, ce n’est que pure joie de retrouver son fils ! Un point c’est tout ! Il n’y a rien à dire de plus que la joie des retrouvailles !

Mais là on arrive au moment intéressant et d’actualité !

La position que prend le fils ainé est hyper intéressante. Quand on voit la réaction du fils ainé on la trouve presque légitime. Son frère revient après des mois d’absence (ou plus on n’en sait rien), le père fait une grande fête, il en vient à abattre le veau engraissé !! Et lui, le fils ainé, là depuis des années, n’a jamais eu droit à ça ! Cette jalousie qui le prend, chacun et chacune de nous a déjà pu l’expérimenter… Ne nous voilons pas la face, ça nous est déjà arrivé de trouver des situations injustes, alors que nous n’aurions eu qu’à nous réjouir ! Le « moi d’abord » est très présent !

J’aimerais m’arrêter là-dessus justement, sur ce « moi d’abord ». Je vous ai dit que je prenais le texte par une petite porte, la voici ! Ce « moi d’abord ». Je crains que ce soit quelque chose que nous entendions de plus en plus dans notre société ces dernières décennies. La montée des nationalismes dans le monde en témoigne et la France n’est pas épargnée. Moi d’abord ! Oui, moi français de souche d’abord ! Oui, moi chrétien d’abord ! Oui, moi qui travaille d’abord ! Oui, moi qui paye mes impôts d’abord ! Oui, moi qui cotise à la sécu d’abord ! Le « moi d’abord » est tellement présent dans les débats politiques actuellement, ou même simplement dans la queue du supermarché.

Voilà le « moi d’abord » du fils aîné, qui est incapable de se réjouir du retour en vie de son frère. Il est jaloux dès le départ ne sachant même pas ce qu’il s’est passé pour son frère pendant ce temps d’absence ! Donc ce que le frère a vécu, ce qu’il a fait de « bien » ou de « mal », ce qu’il a pu vivre de difficile, de déshumanisant, le frère ainé s’en fiche, ce n’est pas le sujet !

Il est simplement jaloux comme si on lui prenait quelque chose qui lui était dû ! C’est pour cela aussi que je trouve que ce texte est actuel ! Peu importe ce qu’a vécu le frère cadet avant d’arriver, la jalousie est là ! Et pourtant c’est son frère ! Il aurait pu avoir de la compassion s’il avait ne serait-ce que demandé ce que son frère a vécu, et son frère lui aurait répondu « j’ai failli manger la nourriture des porcs tellement j’étais en détresse » ! Mais non, peu importe !! Jalousie ! Moi d’abord ! Et moi alors ?

Bien que le père essaye de lui dire de ne pas avoir peur, de ne pas être jaloux, le frère aîné s’obstine, lui qui est présent tout le temps, qui laboure les champs pour son père, qui fait paitre les bêtes, qui range, nettoie, obéit aux commandements… Et il habite avec son père, tous les soirs il a à manger sur la table, il a un lit où dormir, il a un toit sous lequel se reposer… et il a l’impression qu’il n’a droit à rien ! Il pense que tout cela est acquis, que tout cela n’est pas une richesse !

Attention, je ne dis pas qu’il a une vie facile, il semble qu’il donne beaucoup, il le dit même, il travaille « comme un esclave ». Il charbonne, ça on est d’accord, mais il ne se rend pas compte que ce qu’il a déjà au quotidien est une richesse en soi !

Le fils ainé travaille pour obtenir un quotidien décent, et son frère arrive et on lui donne sans demande en retour ! Quelle injustice selon le fils ainé !

Mais le père lui apporte la réponse qui nous est donnée à tous aujourd’hui : arrête ta jalousie, toi tu es à mes côtés au quotidien, tu as tout ce dont tu as besoin pour vivre, mais ton frère que voilà a erré pendant longtemps, il a galéré, il a été affamé, en danger, alors réjouissons-nous simplement qu’il soit en vie !! Et célébrons cela !

De plus, le texte ne nous dit pas la suite. Est-ce que le fils cadet va travailler pour son père ? Est-ce que le fils ainé va rentrer faire la fête avec tout le monde ? Peu importe, à chacun il est offert d’imaginer la suite qui lui semblera la plus évangélique avec les paroles du père !

Vous voyez très certainement depuis un petit moment dans cette prédication le parallèle que nous pouvons faire avec notre société aujourd’hui ! Combien de discours, de prises de paroles, de discussions de comptoirs ressemblent à la réaction du fils ainé ?! Si ça ne tenait qu’au fils ainé il aurait regardé son frère arriver, il l’aurait dénigré et remis dans un avion direction on ne sait où, plutôt que de se réjouir que son frère soit simplement en vie, ce qui est déjà énorme !

Heureusement que le père se réjouit que son fils soit encore en vie ! Heureusement que Dieu se réjouit du fait que chacun de nous puisse revenir à la vie ! Heureusement que Dieu le Père accueille ses enfants dans la joie ! Heureusement que Dieu n’est pas, lui, dans une logique de dette !

Beaucoup pensent que ceux qui arrivent ne sont pas dignes de recevoir ce que nous avons ! Ils ne sont pas dignes… c’est ce que pense le fils ainé de son frère… il n’en est pas digne ! Moi je travaille, je charbonne, j’obéis, et je n’ai qu’un toit, un lit et à manger ! Lui arrive, il n’a rien fait de tout ça, et il a droit à se qu’on se réjouisse de sa venue ! Il ne l’appelle même plus « mon frère » mais « ton fils ». Il se désolidarise complétement du fait qu’il puisse avoir un lien avec lui !

C’est ça en fait, peu importe ce qu’il y a eu avant, c’est le « moi d’abord » qui prime pour le fils ainé ! En Eglise ça nous semble impossible de réfléchir comme cela. Face à Dieu il n’y a pas de « moi d’abord ». Nous l’avons même attesté ce matin au moment du baptême de Constantin, lorsque, dans l’engagement que prend l’assemblée nous disons cette phrase : « Aucune contrainte ne le retiendra dans la communauté chrétienne mais, s’il vient à s'en séparer, vous affirmerez qu'il peut toujours y retrouver sa place.  Vous serez ainsi pour lui des témoins de l’amour de Dieu. » Nous l’acceptons là, pourquoi pas dans d’autres lieux de nos vies ?

Et c’est marrant, parce qu’en fait, vous savez ce qu’on trouve injuste dans ce texte ? L’amour sans condition du père… parce que c’est de là que tout part ! Que le Père aime sans condition, on trouve cela injuste ! On trouve injuste le fait d’être invité à accueillir sans condition ! On trouve injuste de se réjouir parce qu’un frère est en vie ! C’est terrible !

La plus grande injustice, au final, c’est donc l’amour sans condition ! Parce que ce n’est pas comme cela que fonctionne notre société. Dans nos relations comme partout ailleurs, c’est bien souvent la loi du marché qui domine. Nous ne savons que difficilement donner sans attendre en retour ou bien recevoir sans nous sentir redevable. Si bien qu’on perd plus de temps à chercher, acheter et tester l’amour de l’autre plutôt qu’à en donner et en recevoir simplement.

Ce ne sont pas des choses faciles, car cette logique perverse de la dette se glisse partout dans nos relations humaines. Tout se monétise, se mérite, se teste, se calcule, s’investit. Et c’est la norme ! La sagesse populaire nous le rappelle avec des expressions comme : « C’est donnant-donnant », », « trop bon, trop con », ou des expressions du type : « investir dans une relation »

Mais le père, lui, ne demande même pas à son fils ce qu’il a fait avant, et il ne lui demande pas s’il va s’investir après, il n’y a absolument aucune condition à l’accueil, ici d’un fils ! Mais aussi d’un frère ! Puisque c’est ce qui est reproché à l’ainé, d’avoir des conditions pour accueillir son frère dans la joie de le voir en vie, d’être dans le registre du dû, de la dette, du donnant-donnant.

Et dans notre vie de foi, parfois cela peut être vrai aussi, on peut trouver injuste cet amour de Dieu, si puissant, qu’il vient renverser toutes les morales, toutes les valeurs, ça s’appelle la conversion !! Le père, Dieu, ne demande pas de compte, ne demande pas de retour ! Il se réjouit que nous nous tournions vers lui, nous permettant de trouver cette confiance et cet amour dont nous avons tant besoin, pour nous, et pour les autres par nous.

Aujourd’hui nous sommes invités, à nouveau, à la conversion par les Paroles du Christ ! Notre frère, notre sœur, peu importe qui il ou elle est, si il ou elle vient à nous, alors ce n’est que joie !! Ne nous sommes-nous pas réjouit ce matin de la venue de Constantin pour son baptême, l’accueillant comme un frère, lui qui est accueilli sans condition aucune par Dieu ?

Ce Dieu qui se tient auprès de nous se tient aussi après de notre prochain ! Alors quand nous allons à sa rencontre, nous allons à la rencontre de Dieu, sans préjugé, sans jalousie, sans peur !!!!

C’est justement ça qui manquait au fils aîné, il lui manquait cet amour, cet amour fou de Dieu, cet amour qui ne compte pas, qui ne s’endette pas, qui n’a pas à se justifier. Il respectait toutes les règles, il obéissait, il était sûrement très pieux, et sans doute qu’il faisait beaucoup de bien autour de lui. Il ne s’est pas rendu compte que l’amour que le père lui porte est au quotidien, et n’est pas quantifiable par des bienfaits, des richesses, ou du matériel. Comme disait l’apôtre Paul dans la première lettre aux Corinthiens (13) : on aurait beau avoir toute la sagesse du monde et avoir une foi capable de déplacer les montagnes, si nous n’avons pas l’amour nous ne sommes rien.

Dans les jours, les semaines, les mois qui viennent, nous allons avoir des choix à faire !! Alors que celui de l’injustice de l’amour sans condition prime sur tout le reste, et pas le « moi d’abord » !! Et si nous pouvons entendre ce père qui se réjouit pour nous, au quotidien, de nous avoir à ses côtés, nous saurons accueillir notre frère, notre sœur, avec joie, et nous célébrerons le fait qu’il ou elle soit en vie, sans condition aucune.

Amen !