Ecoute avec ta langue !
Ecoute avec ta langue !
Prédication du 21 juillet 2024, par la pasteure Sophie Ollier
Lectures bibliques :
1 Corinthiens 12, 14-26
Esaïe 50, 4-7
Pour ce dimanche, je souhaitais vous parler d’écoute et d’être à l’autre ! En plus du contexte actuel un peu tendu, nous sommes en plein milieu de l’été, et les rues ont beau être bondées avec les JO qui commencent, certains et certaines sont sûrement très seuls ! Pendant ces 2 mois, certains ou certaines ne verront personnes, ne recevront de nouvelles de personnes, car chacun de nous sera pris dans ses propres vacances, nos repos. Et pourtant, l’équipe de visiteurs a mis des choses en place pour rompre un peu la solitude ! Mais plus que l’équipe de visiteurs, n’est-ce pas aussi à nous, à chacun et chacune de nous de nous mettre à l’écoute ?
Lorsque nous lisons ce texte bien connu chez Paul qui nous parle du corps, on se rend compte que l’Église est une communauté de soignants. On préférerait parler d’une Eglise puissante et rayonnante plutôt que d’une Eglise qui ressemblerait à un hôpital. Et pourtant, être communauté, faire corps, suggère que nous fassions attention à chacun de ses membres, que nous prenions soin des membres qui souffrent, que nous leur donnions une place ! Nous avons besoin les uns des autres !
C’est le texte que j’ai abordé cette semaine avec les louveteaux sur leur camp, et avec les éclaireurs sur leur camp. Chacun des camps a profondément fait ressortir l’être à l’autre comme essentiel, entendre combien celui qui est en face de moi fait partie de ce que je vis même s’il est différent, même s’il est une main et moi un pied.
Le vivre ensemble c’est ce qu’ils vivent pendant 2 à 3 semaines, l’être à l’autre, l’entraide, savoir que chacun est essentiel, par le scoutisme ils vivent vraiment le fait de faire corps et de prendre soin.
« Prendre soin les uns des autres » est une expression fréquente dans le Nouveau Testament pour qualifier les relations entre les membres de l’Église.
« Prendre soin » … c’est l’attitude qui fonde et caractérise les relations dans l’Église. « Prendre soin » consiste à prêter attention à autrui, veiller sur lui, sans domination, lui offrir considération et reconnaissance.
« Prendre soin » relève d’une culture d’appartenance : « Vous êtes membres les uns des autres » … Cette réalité est tellement importante que Paul en parle dans toutes ses épîtres. Cette attitude va à l’encontre de notre penchant naturel à l’individualisme. Le prendre soin demande de notre part de nous donner à l’autre ! Mais comment ?
« Chaque matin, il éveille mon oreille ». Expression extraordinaire que l’on trouve dans le livre d’Esaïe que nous avons lu !
Ce n’est pas un secret, dans le prendre soin, dans le fait d’être attentif à l’autre comme une partie de mon corps, il y a l’écoute ! Mais quelle écoute ? Il ne s’agit pas ici de donner des bonnes recettes de l’écoute, comme on peut le faire en formation, non, mais d’entendre comment nous écoutons et ce que cela produit ensuite ! En quoi cette expérience d’écouter est-elle une expérience divine ?
Celui qui parle dans ces lignes n’est pas un disciple qui serait passé par une école rabbinique, ou par les enseignements d’un maître religieux. Il n’a pas suivi des cours de théologie pratique à l’Institut Protestant de Théologie de Paris, Montpellier ou Strasbourg. Il n’a pas participé à des formations à l’écoute et à la communication, il n’a pas suivi de séminaire en psychologie, il n’a pas obtenu le diplôme universitaire lui permettant d’être visiteur ou accompagnateur spirituel. Rien de tout cela.
C’est au contraire quelqu’un qui revendique d’être « comme un disciple », par un appel particulier de Dieu. Alors attention, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas ! En matière d’écoute, les formations diverses et variées sont essentielles et apportent beaucoup ! Mais elles ne remplaceront jamais cette chose mystérieuse et bénie qu’est le don de l’écoute, fait par Dieu de façon diverse aux oreilles diversement faites que nous sommes. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a aucun travail, et qu’il suffit d’utiliser une capacité qui serait là pleinement déposée à la naissance. « Matin après matin, le Seigneur m’éveille l’oreille », dit l’auteur du texte. C’est-à-dire que, matin après matin, celui qui parle s’offre à cette ouverture qui se fait en lui. Il en est le témoin émerveillé et attentif, et aussi le témoin actif.
Ce n’est pas juste « pouf, mes oreilles sont éveillées », mais c’est une action de recevoir cet éveil et de le vivre ! C’est un travail intérieur. Écouter vraiment ne va pas de soi, tendre l’oreille, se mettre vraiment et profondément à l’écoute de ce qui nous entoure, à l’écoute de ce monde, de ses chaos, de ses angoisses, de ses peurs, de ses pleurs ! Ce n’est pas évident de se mettre profondément à l’écoute du monde ou d’une personne, cela peut même être douloureux ! Parce que lorsqu’on écoute vraiment, on discerne tout ce que cela comporte de complexité et nous sommes bien souvent impuissants !
C’est un chemin difficile, car il demande une disponibilité, une docilité, une acceptation, une transformation. Laisser Dieu éveiller son oreille est une expérience transformatrice. Et, d’une certaine manière, ça nous fait prendre un risque, le risque de se laisser rejoindre, transformer par cette écoute ! Laisser son oreille s’éveiller c’est accepter que ce que j’entends fasse maintenant partie de moi.
Alors là on pourrait se dire, bon OK on écoute et après ? Ce qui est intéressant avec ce texte, qui dit très peu de choses explicitement mais qui en dit beaucoup, c’est qu’avant même de parler de son oreille, l’auteur nous parle de sa langue ! Toute personne ayant fait des formations à l’écoute saura qu’avant de parler il faut écouter ! Que c’est étrange donc de trouver cette question de la langue avant l’oreille !
A quoi lui sert donc cette langue ? A reconnaitre qu’il a reçu un don de Dieu ! Une langue qui a découvert sa mission et sa finalité : soulager celui ou celle qui est affaiblie. L’écoute n’est rien par elle-même. L’écoute n’est écoute que parce qu’elle a le souci de ceux qui sont affaiblis, et parce qu’elle découvre qu’en écoutant vraiment elle devient parole. L’écoute est parole !
Avez-vous fait cette expérience d’écouter quelqu’un, de ne presque rien dire mais d’être tout à fait attentif à ce que quelqu’un dit, à ses émotions, aux enjeux de ce qu’il dit ? Et avez-vous, un jour, entendu ensuite ce remerciement : « merci pour ce que vous m’avez dit ! » En réalité vous n’avez rien dit qui passe par les mots, mais votre écoute est devenue parole. Votre écoute est devenue encouragement, relèvement et soulagement. Dieu vous a donné une « langue de disciple ». Et le texte dit d’une façon magnifique : Dieu a fait « surgir une parole », littéralement il « éveille une parole », avec tout ce que nous pouvons y entendre du vocabulaire de la résurrection. Savions-nous qu’écouter vraiment, cela pouvait ressusciter ?
En fait, ce texte nous invite à entendre combien notre oreille se fait langue, combien notre écoute vraie se fait parole !
Mais effectivement, comme je le disais tout à l’heure, ce n’est pas toujours évident, et cela peut même nous mettre en difficulté ! Puisque l’éveil à l’écoute amène son lot de difficultés, de peines, de souffrances aussi ! S’éveiller à l’écoute c’est recevoir ce monde pleinement, c’est recevoir l’autre pleinement dans toute sa souffrance, sa peine, ses questionnements ! Celles et ceux qui ont déjà visité des personnes en souffrance le savent, sortir d’une visite lourde demande du temps pour récupérer.
Mais même en dehors d’une visite cadrée, on peut le vivre dans notre quotidien, avec nos proches qui ont besoin que notre écoute, notre présente devienne parole, même sans rien dire.
C’est par cet appel à être disciple en mission, c’est par le don que Dieu lui fait d’éveiller son oreille que le disciple sait qu’il n’est pas seul dans cette écoute et cette visite. Il sait qu’il n’est pas le seul à écouter mais que Dieu est le premier écoutant des situations de vie ! Et c’est cette confiance que notre écoute, notre parole est portée, que nous pouvons nous en remettre à lui pour soulager aussi notre vie !
Vous allez me dire, comment entendre que Dieu aussi écoute ? Il est venu nous le dire et nous le montrer ! En Jésus traversant sa Passion, c’est Dieu lui-même qui se fait oreille, Dieu qui entend toute la douleur du monde et annonce quelque chose de nouveau. En Jésus, Dieu lui-même s’est fait disciple, oreille et langue, parole qui s’éveille chaque matin pour nous.
Depuis ce jour-là, il nous est donné de comprendre de façon nouvelle à quel point une oreille éveillée est pour nous un immense cadeau de Dieu. Combien une écoute vraie nous parle du Christ qui écoute. Et combien chacun et chacune de nous est appelé à en découvrir quelque chose, et à en offrir quelque chose pour accompagner celles et ceux qui en ont besoin.
Cette écoute vraie, cet éveil à l’écoute est la plus grande chose que nous pouvons offrir à celles et ceux que nous rencontrons, que nous visitons, que nous accompagnons ! C’est le témoignage même de ce que Dieu est et fait pour nous ! Être une présence qui accompagne, soulage, porte, relève même ! Ça ne fait pas de nous des héros, ne tombons pas dans le syndrome du sauveur, pas la peine de se galvaniser de ça, c’est un don qui nous est fait que nous sommes invités à cultiver pour les autres, celles et ceux qui ont besoin de se sentir écoutés, aimés, profondément, en vérité ! Il suffit d’une écoute pour qu’un rayon de lumière surgisse ! On ouvre un espace pour que l’autre puisse se dire ! C’est permettre à l’autre de se sentir rencontré !
C’est permettre à l’autre de se sentir être une partie du corps qui a de l’importance ! C’est offrir à l’autre la possibilité d’être ! C’est lui offrir la possibilité de dire sa souffrance pour qu’il ou elle ne la porte plus seul !
L’écoutant n’est pas le remède, mais l’ouverture à autre chose ! L’écoutant compte car il ouvre la possibilité à… mais il n’est pas le plus important de la rencontre ! Comme si nous étions la Lumière de la vie de celui ou celle que nous rencontrons alors que notre mission est d’ouvrir un chemin vers cette Lumière qu’est et qu’offre Dieu.
Nous ne sommes pas le corps, nous n’en sommes qu’une partie ! Une oreille langue ou une langue oreille ! Par contre nous pouvons pleurer avec celles et ceux qui pleurent, nous réjouir avec celles et ceux qui ont des sources de joie ! Nous sommes là pour entourer avec vérité et humanité celles et ceux qui se sentent impossibles à aimer ! Nous sommes là pour nous entourer les uns les autres, faire corps ensemble, se soutenir, s’accompagner ! Pas seulement dans la visite mais au quotidien ! C’est ce que nous dit Paul dans la lettre aux Corinthiens, c’est ce que nous dit Jésus lorsqu’il parle d’être pour le plus petit vers lequel nous nous tournons, c’est ce qu’il nous dit quand il nous demande de nous aimer les uns les autres !
Et tout cela concerne chacun et chacune de nous dans toutes les facettes de nos vies !
Une simple écoute vraie peut être profondément ce rayon de lumière au milieu d’une obscurité, faire surgir Dieu et son amour !
Voilà ce qui est au cœur même de l'action de la rencontre avec l’autre, de l’attention à l’autre. Une action qui est de l'ordre de l'écoute, de l'accompagnement, de l’être à l’autre. La rencontre entre des personnes dans la présence du Dieu vivant. Une rencontre avec, et parfois malgré, une souffrance qu'il ne s'agit ni de nier, ni de gommer mais de traverser ou d'apaiser. Et l’écoute est là pour permettre de se tourner vers Dieu avec cette souffrance pour rencontrer Sa Présence.
Alors oui, profondément, que le Seigneur, chaque matin, éveille notre oreille, et que nous, nous écoutions !
Que notre oreille se fasse parole, ne serait-ce qu’une fois cet été, pour faire résonner la présence de Dieu !
Amen !