La réforme, un vieux truc ?
La Réforme, un vieux truc ?
Prédication du dimanche 22 septembre 2024, par la Pasteure Sophie Ollier.
Lecture biblique : Marc 10, versets 46 à 52
Culte découverte du protestantisme, ou culte découverte du culte protestant ? Les deux se rejoignent car notre manière de vivre le culte est à la fois profondément spirituel et théologique. Et, l’un dans l’autre, nous abordons un sujet important : Qui sommes-nous ? Que montrons-nous au monde ? Comment nous présentons-nous au monde ? Que présentons-nous au monde ? Qui sommes-nous en tant que protestants, mais aussi et surtout en tant que chrétiens ? Comment ce que nous vivons témoigne de ce Dieu que nous prions, chantons, écoutons, vivons ?
Alors, pour cela, il nous faut faire un petit bond dans le temps, il y a un peu plus de 500 ans en fait, au moment où Luther placarde ses fameuses 95 thèses en 1517 pour lancer ce qu’on appelle une disputatio, un débat au sein de l’Eglise catholique. C’est comme ça qu’on faisait à l’époque.
De ces thèses va découler la Réforme et de cette Réforme découle ce qu’on appelle les 5 Solas ! Sola scriptura (l’Ecriture seule), sola Fide (la foi seule), sola gracia (la grâce seule), solus Christus (le christ seul), soli Deo gloria (A Dieu seul la gloire). Des fondements qui disent quelque chose de notre identité protestante.
Mais qu’est ce que cela signifie concrètement dans notre vie de tous les jours ? Est-ce que ces Solas sont un vieux truc poussiéreux ou pas, et que disent-ils des protestants ?
Cette question de l’identité est une question essentielle que nous nous posons chacun : Qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Et puis en ce moment cette question d'identité est tellement brandie à tout va pour tout, surtout quand ces identités sont excluantes, qu’il serait pas mal de se poser la question pour nous aussi ! Qui sommes-nous ? Qui sommes-nous en tant que personne, en tant que communauté, en tant que protestants ?
Et justement, cette histoire de l’aveugle Bartimée a quelque chose de génial : cette histoire nous parle d'identité, et, par la même occasion, nous aide à comprendre ces fameux 5 Solas dont je vous parlais !
Donc, cette histoire de Bartimée ! Dans ce monde contemporain où la place est faite aux étiquettes, où l’image que nous renvoyons aux autres est tellement importante, où nous plaquons aussi des principes sur telle ou telle personne en fonction de ses habits, de sa couleur de peau, de sa démarche, de sa coupe de cheveux… Peut-être nous arrive-t-il de devenir aveugle, aveugle car finalement nous ne voyons pas plus loin, nous devenons aveugle aux personnes qui sont en face de nous, ne se fixant que sur l’apparent !
Notre société est malheureusement comme cela aujourd’hui, nous ne regardons pas plus loin que le bout de notre nez, l’apparence prend tout le dessus ! Elle a un short – elle cherche ! Elle a un voile – elle est soumise ! Il est bizarre – on lui parle pas et ça nous dérange ! Il est en fauteuil – c’est galère de nous adapter ! Elle a pas dit non – donc c’est oui ! Il est arabe – c’est une racaille ! Il croit en Dieu – il veut tous nous convertir ! Il est SDF – c’est un fainéant ! Et que sais-je ?! Ces étiquettes-là font malheureusement partie de notre société et même, nous l’entendons quasiment tous les jours.
Et c’est LA que ce récit de Bartimée nous rejoint. Nous ne sommes pas étrangers aux récits des Evangiles, nous nous retrouvons toujours à un moment ou à un autre face à ces textes et ils viennent toucher pile poil à nos vies d'aujourd’hui ! Oui, ces textes de la Bible sont des textes qui nous parlent de nous et qui nous invite à grandir ! Oui, ces textes sont pour nous aujourd’hui et ont quelque chose à nous dire : Sola Scriptura !
Et ce texte en particulier nous rejoint précisément dans nos aveuglements d'aujourd’hui, ceux que nous avons vis-à-vis de la société, mais aussi sur nous-mêmes, nous ne savons pas toujours très bien qui nous sommes, où nous allons, qui est Dieu... Si ce texte nous rejoint aujourd’hui, allons un peu plus loin !
Jésus et les disciples sont donc à Jericho, et, sur leur route ils croisent un mendiant aveugle qui était assis au bord du chemin : Bartimée, fils de Timée.
Au moment où Bartimée entend que c’est Jésus le Nazaréen, il se met à crier : « Fils de David, Jésus, aie compassion de moi ! » Quelle réaction ! Lui, l’aveugle qui ne peut pas le voir, le reconnait. Et tous essaient de le faire taire. Un aveugle mendiant ça fait mauvaise presse ! En plus de son étiquette d'aveugle ils veulent le rendre muet ! Et pourtant ce cri modifie l’image que les gens avaient de cet aveugle.
Bartimée crie à Dieu. On ne peut pas faire taire le cri, le cri qui se moque des règles de bienséance, le cri de celui ou celle qui n’a plus rien à perdre. En fait, à ce moment-là, Bartimée décide de faire le pari de la confiance en criant. Faire le pari de la confiance c’est comme jeter son filet au milieu de l’eau et faire le pari qu’il récoltera des poissons ! Par-là, Bartimée nous invite à faire de même ! Tout comme lui, nous n’avons rien à perdre par ce geste. C’est oser demander, formuler la demande, c’est oser se tourner vers l’autre et vers Dieu.
Si j’ose demander, que risquais je de perdre ? Quel confort ? Que vais-je voir lorsque mes yeux seront ouverts ? Devant quelles responsabilités serais-je mis ? Devant quel choix ? Quel renoncement ?
En fait, peu importe. Devant son aveuglement, Bartimée fait le pari fou de la confiance ! Il se tourne vers celui qu’il reconnait à ce moment-là comme son sauveur ! Se tourner vers Dieu pour le laisser simplement mais puissamment nous rejoindre !
C’est un acte gratuit. Une grâce. Sola gracia. Et cette grâce se révèle au simple fait que Jésus se tourne vers lui, il le considère ! Par ce cri, « Jésus s’arrêta ». Et quand Jésus se tourne vers lui c’est pour lui dire : « Je t’ai entendu, et je te reconnais ! » C’est là que se trouve la gratuité de la grâce ! Elle ne demande rien d'autre que d'être reçue, elle ne demande rien en échange !
Crier à Dieu c’est recevoir cette considération, c’est réaliser que nos vies sont considérées, au moins par Dieu !
Un cri donc qui est l’audace d’une confiance… et Jésus va s’arrêter. Lui qui est en mouvement. Il prend le temps de s’arrêter pour tourner son regard vers Bartimée, vers nous. Il s’arrête à notre niveau pour nous remettre en marche. Nous faire entrer dans la danse.
Et cet arrêt entraine un revirement. Le passage d’un rabrouement à un encouragement inattendu…
La foule change. Elle n’étouffe plus le cri : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle ». Jésus a considéré cet aveugle, la foule l’a alors considéré aussi ! Vous imaginez un peu si on considérait de la même manière toutes les personnes que Jésus a considéré ?! Le plus petit, l’enfant, l’exclu, le rebus, le différent, le malade, l’handicapé, le mal aimé, le rejeté !
Ainsi, la plus belle parole d’encouragement qu’on puisse dire à un être humain c’est celle-là : « Courage, lève-toi, il t’appelle ! ».
C’est finalement la parole qu’ont entendu toutes celles et ceux qui se sont levés au nom du Christ : Solus Christus. Mettre le Christ au centre de nos vies c’est mettre la Parole de Dieu au centre de nos vies, en paroles et en actes, c’est regarder et considérer l’autre de la même façon que le fait le Christ. C’est entendre que cette considération sauve ! Oui, elle sauve des vies !
Et si c’était sa façon à Dieu de « donner courage », de redonner la force de lutter en et pour l’humain ? Et si du même coup, ces mots pouvaient être repris par nous et échangés non plus comme un simple vœu, mais comme une incarnation de cette parole, comme pour Bartimée ?
Il me semble que ce récit dit que cela arrive !
Au point d’en jeter son vêtement, de se lever d’un bond et de s’approcher de Jésus qui appelle. Que de hâte dans ce geste de Bartimée, ce mouvement, comme si trop longtemps emprisonné dans son aveuglement, l’énergie concentrée se déployait… Il jette son manteau. Ce détail est curieux, car il semble sans importance. Or, rien dans l’Evangile, n’est sans importance. C’est donc précisément parce que ce détail est d’une insignifiance remarquable que ça devient intéressant.
Le manteau dans la Bible, c’est avant tout l’apparence que l’on veut donner aux autres, c’est le paraitre, c’est un « pour être vu ». On en revient au début de cette prédication, le paraître… Peut-être que précisément l’important pour l’aveugle était sa préoccupation d’être vu par les autres. Il ne trouvera alors la vue que lorsqu’il abandonnera son manteau, c’est à dire sa préoccupation de paraitre, et de donner cette image de lui. Alors, se moquant de l’opinion des autres, il se lèvera d’un bond, tel qu’il est, pour suivre le Christ. Pour voir, pour être, il doit laisser de côté son paraître !
Il se présente à Jésus nu, dans la fragilité de son intimité.
A la question de Jésus « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Bartimée répond « Que je retrouve la vue ». Ça sous-tend alors que Bartimée n’était pas aveugle de naissance. Et là, pas de gestes. La parole seule agit.
« Va, ta foi t’a sauvé ! Aussitôt il retrouva la vue et se mit à le suivre sur le chemin. »
Est-ce Jésus qui guérit, ou bien la foi de l’homme qui se trouve en présence du Christ ? Le désaveuglement de Bartimée découle d’un acte de foi : sola fide.
Le Christ va lui rendre son autonomie, le remettre debout, le remettre en route, lui rouvrir les yeux. Ce qui est extraordinaire, c’est que justement il lui donne cette nouvelle liberté sans aucune condition. L’homme lui demande, et le Christ le libère sans condition, c’est l’une des plus belles images de la grâce libératrice qui soit.
Le Christ est celui qui peut nous ouvrir les yeux sur ce qui est essentiel, de façon à ce que nous puissions retrouver dans notre vie une visée qui nous permet de choisir notre route avec liberté et intelligence.
Alors voici ce qu’il découvrira, c’est que pour recouvrer la vue, pour retrouver la liberté, il lui faut chercher à agir plus qu’à être vu, à être plus qu’à paraitre. Ce qui compte c’est non pas l’apparence, le voir, mais la qualité profonde de l’être, dans un cri de confiance.
Je vous parlais d'identité au début de cette prédication. En venant au culte aujourd’hui, nous pensons, à tort ou à raison, que notre identité est d'être protestant. Mais, vous voyez, ce qu’on brandit comme une identité, comme un manteau presque, ces fameux Sola, n’est peut-être finalement que du paraître, tandis que nous sommes appelés à une identité bien plus profonde, ancrée en Christ, une identité qui est appelée à se renouveler en continu, une identité qui ouvre les yeux pour vivre un chemin de confiance et de liberté !
Le chemin qui s’ouvre à nous ne se cantonne pas à une religion, un lieu, un temple, une théologie, mais c’est un chemin qui nous rappelle que notre être dans ce monde a quelque chose à accomplir ! Nous ne pouvons plus rester aveugle à notre monde qui a besoin d'entendre et de vivre de confiance et d'Espérance, d'une Lumière qui ouvre un avenir où la vie est permise et première !
Reconnaitre que l’on est à jamais aveugle d’une certaine manière, même si des dévoilements successifs s’opèrent dans notre vie, à nous le cri de la confiance, de la foi, pour recevoir une parole d’encouragement et de liberté. Notre identité nous la trouvons en Christ, dans ces Solas mais qui nous disent quelque chose de notre lien à Dieu.
Alors, Sola scriptura ? Oui, la Bible, l’Evangile, la Parole de Dieu nous libère de nos œillères pour regarder le monde comme le Christ lui-même l’a fait !
Sola Gracia ? Oui, Dieu nous fait un don gratuit qui ne se borne pas à nos limites humaines !
Solus Christus ? Oui, la Parole de Dieu incarnée en Jésus Christ nous rappelle que nous ne sommes pas invités à rester figés mais à nous lever pour la vie !
Sola fide ? Oui, le désaveuglement et l’ouverture de notre regard sur le monde est un acte de foi, de confiance !
Et tout cela pour quoi ?
Soli Deo Gloria ? Oui, nous sommes les témoins premiers d'un amour qui est un élan à la vie, pour la seule gloire de Dieu, et non la nôtre, pour que nous fassions simplement le choix de la vie !
Allez, « courage, lève-toi, il t’appelle » !
Amen
Sophie Ollier