Où est passé le rêve de Martin Luther King ?
Où est passé le rêve de Martin Luther King ?
Prédication du 7 juillet 2024, par la pasteure Sophie Ollier
Lectures bibliques :
Psaume 92
Luc 22, 54-62
Depuis le début du culte, les textes de prières et la confession de foi sont inspirés de discours ou prédications de Martin Luther King ! Je vais dire MLK tout le long ! Si vous avez lu le titre de la prédication, vous comprenez pourquoi ! Dans des temps sociaux et sociétaux agités, pourquoi ne pas s’inspirer de ce que d’autres ont déjà vécus avant, les combats déjà menés ?!
Il y a presque 60 ans bientôt, Martin Luther King faisait un rêve… et je ne comprends pas où il est passé !
Comment est-ce que, encore aujourd’hui, un nom, une couleur de peau, une confession religieuse, une origine ou le travail que je fais me rendrait plus ou moins légitime d'être appelé « être humain » ? Pourquoi ? Comment est-ce que c’est possible ? Parce que finalement c’est ce qu’on entend dans notre quotidien ! Et pire encore, tout devient décomplexé.
Est-ce que si nous rêvions aujourd’hui comme l’a fait King nous risquerions de tomber dans un monde de bisounours ?
Nous pouvons rêver, tout comme MLK, nous pouvons faire le rêve qu’il n’y ait plus de guerre, plus de pauvreté, plus de personnes qui aient besoin de quitter leur racine pour survivre, qu’aucune bombe n’exploserait sur le visage d'enfants, de femmes et d'hommes qui n’ont rien demandé, que chacun ait un toit sur la tête, que tous nous ayons assez d'argent pour vivre sans s’en soucier, que les Etats seraient là pour le bien commun et non pour leurs intérêts, rêvons que tous nous travaillons à un monde meilleur, que pendant notre temps libre nous soyons tous au service les uns des autres, que chacun puisse être complètement libre sans que d'autres viennent clamer le contraire, rêvons tous que nous serions reconnus comme des êtres humains à part entière !
Oui, des rêves nous pouvons en faire de nombreux ! Que c’est facile de rêver ! Que c’est beau d'écouter MLK nous parler de ses rêves ! Que c’est encourageant de lire l’Evangile et d'y découvrir les paroles de Jésus et d'autres témoins qui nous parlent d'amour du prochain ! Nous sommes sur un même modèle, bien que différent !
Ce que MLK présente comme un rêve dans son discours, Jésus, lui, les présente comme des chemins de vie !
MLK rêve que nous comprenions que nous sommes frères, Jésus nous dit que tous nous serons reconnus comme ses disciples si nous avons de l’amour les uns pour les autres.
MLK rêve que chacun soit jugé sur sa valeur personnelle bien au-delà de considérations sociologiques, Jésus nous dit que notre humanité est égale devant Dieu !
MLK rêve que la justice marchera main dans la main avec l’amour et la pitié, Jésus nous demande de ne pas faire subir à un autre ce que nous n’aimerions pas subir, mais au contraire, de le traiter comme je souhaiterais qu’on me traite.
MLK rêve que la guerre prenne fin et que nous marchions les uns avec les autres, Jésus nous demande d'aimer et de prier pour nos ennemis.
MLK rêve que par notre foi nous jetions une nouvelle lumière sur les ténèbres, Jésus nous dit que nous sommes Lumière du monde, sel de la terre.
Les rêves de MLK sont, à n’en pas douter, imprégnés de l’Evangile ! En tant que pasteur baptiste en même temps…
Cependant, il y a peut-être quelque chose que vous ne saviez pas ! Ces rêves de Martin Luther King surgissent d'un cauchemar !
Un rêve au milieu du cauchemar ! Et c’est là que vous allez comprendre pourquoi j’ai pris comme texte le reniement de Pierre pour aujourd’hui !
Savez-vous quel était le cauchemar de King ?
Vous pourriez me répondre tout de suite que le pire cauchemar de King était l’injustice commise envers les noirs américains à l’époque ! Mais non ! Cette injustice était le cœur de son combat mais pas son cauchemar !
Voilà son pire cauchemar, écoutez bien !
« A la fin, dit MLK, nous ne nous souviendrons pas des paroles de nos ennemis, mais des silences de nos amis… »
« A la fin, nous ne nous souviendrons pas des paroles de nos ennemis, mais des silences de nos amis… »
Le silence de nos amis, comme pire cauchemar !
Est-ce que le silence de Pierre a été l’un des pires cauchemars de Jésus ? Le silence d'un homme face à la souffrance et l’humiliation !
Que c’est actuel !
Nous entendons les cris, mais le silence est bien plus assourdissant !
Nous entendons le racisme, mais où est la parole d'acceptation ?
Nous entendons la violence, mais où est la parole non-violente ?
Nous entendons l’intolérance, mais où est la parole d'amour ?
Nous entendons l’exclusion, mais où est la parole d'accueil ?
Nous entendons le non-droit, mais où est la parole d’ouverture universelle ?
Nous entendons la peur, mais où est la parole d’espérance ?
Le silence est d'une violence extrême à n’en pas douter !
Nous trouverons toujours une bonne raison pour ne pas parler, mais qui sommes-nous alors ? Pierre en avait une très bonne de raison pour ne pas parler : la peur de mourir ! Légitime je vous l’accorde ! Mais qui, en face de ce Jésus malmené, torturé, humilié, qui s’est levé pour lui dire « Je t’aime » ? Le silence n’a laissé paraitre que désintérêt et désengagement ! Ce n’est pas la faute de Pierre si Jésus souffre, mais son silence n’arrange rien !
Plus encore que le silence, c’est même le reniement, ici ! Ne pas se reconnaitre comme connaissant Jésus, renier qui il est mais et avec, son enseignement, sa Parole ! Qu’on le dise quand même, Jésus ne reproche pas à Pierre son reniement, il l’avait prévenu que ça arriverait, mais il ne l’a pas condamné pour ça ! Qu’on le dise, l’amour que Dieu nous porte est aussi bien dans nos élans de vie que dans nos faiblesses, nos peurs et nos failles ! Cependant, tout l’Evangile nous invite à nous tourner vers l’autre, celui ou celle qui en a besoin ! Dieu ne retire pas son amour, mais son amour nous invite à quelque chose dans ce monde ! Est-ce le silence ou la Parole de Dieu qui s’est incarné ?
Par la suite, la voix de Pierre s’élèvera et nous parviendra même jusqu’à aujourd’hui ! Nous voilà au bénéfice de son rebondissement, il n’est pas resté cloitré dans son silence et son reniement, il s’est relevé et a parlé ! Nous ne sommes pas condamnés au silence mais le monde a aujourd’hui besoin de cette Parole qui elle, nous fait vivre, ce Jésus qui est venu nous annoncer l’espérance !
Est-ce la voix de la violence, face au silence de l’amour ?
Depuis quelques jours, un nouvel élan émane de notre Eglise, de la part de pasteurs de l’UEPAL et de l’EPUdF : résister dès le commencement !
Les voix qui s’élèvent depuis des mois et encore plus depuis quelques semaines, quelles sont-elles ? Et nous alors, sommes-nous silencieux, renions-nous ou parlons-nous ? Je ne dis pas là que nous n’entendons pas du tout la voix de l’espérance et de l’amour, non, cependant, ce n’est pas elle qui crie le plus fort, on la pense donc silencieuse !
Le silence des amis était le plus grand cauchemar de King ? Ça devrait être le nôtre aussi !
La peur peut, comme pour Pierre, nous amener à emprunter un chemin différent de celui que nous voulons suivre avec le Christ, mais nous ne sommes pas résignés à cette peur-là !
Que ce soient des mots, des gestes, des prières, des manières d’être au monde ou un bulletin de vote, ne restons pas mutique face à ce qui se passe, crions plus fort que celles et ceux qui, aujourd’hui, sont sources de destruction pour certains et certaines !
L’injustice quand elle s’abat sur vous, est cruelle, douloureuse, déprimante. Mais elle devient cauchemaresque quand en plus s’y ajoute le silence lourd de vos amis.
Et que faisons-nous face à un cauchemar ? On se réveille, on se lève, on boit un bon café pour se réveiller et on y va !
Et là, je parle pour l’Eglise ! Quelle parole ? Quel silence ?
MLK, dans son audace de rêve, s’est levé et s’est battu contre son cauchemar ! Sa voix s’est élevée ! Une voix s’élève, et ceux qui l’entendent suivent !
Mais que cette parole soit une parole d'espérance, d'amour, de lumière, de non-violence, que ce soit celle-ci qui se répande, et non une parole de fermeture, de rejet, d'oppression !
Si nous sommes présents ici ce matin, dans ce temple, c’est que, d’une certaine manière, nous sommes convaincus, nous croyons que cette Parole de vie que Dieu nous offre est là pour quelque chose, pas seulement pour rester dans le silence, dans nos murs, mais qu’elle portera plus loin ! Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils unique ! Voilà ce que nous lisons dans l’Evangile de Jean ! Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a rejoint, non dans le silence mais par sa Parole !
Plus question de désespérer de ce monde car il n’est pas condamné à tout ce qui le défigure ! Il n’est pas livré pour toujours à tout ce qui le détruit ! Il n’est pas destiné à mourir ce monde, mais il est destiné à la vie ! A la justice ! A la réconciliation ! A l’amour ! Mais c’est aussi pour cela qu’il n’est surtout pas question de se résigner et de se taire, bien au contraire ! Puisque Dieu a tant aimé le monde, et qu’il lui offre de vivre encore et encore, il nous est impossible de continuer à aller à l’inverse de l’amour justement !
Parce que Dieu aime le monde, le monde tout entier, et tous ceux qui le peuplent, il n’est pas possible d’accepter que la pauvreté s’étende encore et encore et qu’on ne fasse rien ! Il n’est pas possible d’accepter que les uns aient tout ce qu’il faut et au-delà, et que d’autres n’aient plus rien.
Parce que Dieu aime le monde et, pour cela, s’est donné tout entier, jusqu’à la mort sur la croix, il n’est pas tolérable que des dizaines de milliers d'enfants, femmes et hommes meurent de faim chaque jour.
Parce que Dieu aime le monde jusqu’à en mourir, il n’est pas possible que des guerres aussi cruelles et scandaleuses que celle qui ensanglante notre monde continuent d’être alimentées en armes de destruction et de mort par toutes les grandes puissances.
Parce que Dieu aime le monde, il n’est pas possible que nous continuions à défigurer ce monde en l’épuisant de ses ressources, en le malmenant, en lui arrachant ses poumons, en le surconsommant, en tuant en masse ses habitants, que ce soit des humains ou des animaux.
Parce que Dieu aime le monde, et chacun des êtres qui s’y trouvent, il n’est pas possible que des frontières ou une origine définissent la valeur d'un être humain, il n’est pas possible que les droits et la dignité humaine soient mis de côté sous prétexte qu’il n’a pas le bon papier, la « bonne » couleur, la « bonne » orientation sexuelle, le « bon » sexe, la « bonne » religion.
Parce que Dieu aime tous les habitants de la terre, il n’est pas possible que les humains continuent de se méfier et de s’exclure les uns les autres, sous prétexte qu’ils sont différents.
Parce que Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que quiconque croit en lui ne se perde pas, ne continue pas à se perdre dans ses dominations, dans ses peurs, dans ses haines ou dans sa propre justice personnelle, mais qu’il ait la vie éternelle, celle que Dieu veut pour tous, pour que chacun en devienne un témoin et un combattant de cette vie-là, cette vie qui est aimée de Dieu !
Oui, si nous lisons et brandissons ce verset encore et encore, nous ne pouvons plus tourner les yeux et éviter tout ce qui est l’inverse de l’amour pour le monde ! Nous ne pouvons garder notre silence d’ami en permettant la parole violente !
Nous en sommes capables dans ce temple ce matin, au milieu de ce qui nous est familier ! Mais maintenant, à nous de sortir d'ici et de faire entendre cette même voix à l’extérieur !
Bien sûr que nous nous retrouvons en Pierre et que la peur peut nous prendre ! Mais rêvons !
Rêvons, que faute de pouvoir éradiquer l’injustice pour le moment, qu’au moins un peuple d’indignés se lève et la dénonce, chaque fois qu’elle montre son nez !
Rêvons qu’au moins tous ceux qui subissent l’injustice puissent compter Oui, rêvons et portons ce rêve d’Evangile, que le silence se taise, et que des Paroles de vie se fassent entendre !
Amen !
Sophie Ollier