S'enivrer de sens !
S’enivrer de sens
Prédication du dimanche 9 mars 2025, par la pasteure Sophie Ollier
Lecture biblique : Jean 2, versets 1- à25
« Commencement des signes que fit Jésus ». Voilà ce début de l’Evangile de Jean. Comme à chaque fois qu’il y a Ecole Biblique nous essayons de prêcher sur le texte abordé par les enfants : les noces de Cana ce matin : ce moment où Jésus change l’eau en vin ! Ça doit bien nous parler ça en France, du vin ! Je me suis rendue compte, au fil du temps, que même les personnes qui connaissent peu à la religion, savent que Jésus est quelqu’un qui a marché sur l’eau et qui a changé l’eau en vin ! Autrement dit, ce texte est bien plus connu que nous ne le pensons !
Alors effectivement nous n’avons pas lu que les noces ce matin, mais j’y reviendrai plus tard !
Pour ce début d’Evangile, Jean nous parle du commencement des « signes » que fit Jésus. Sur les 7 signes présentés par l’Evangile de Jean pour signifier l’action de Dieu, voici le 1er : une fête, des convives, du vin à profusion !
Jésus invité comme simple convive à des noces et son rôle, dans ce moment de vie, sera simplement de fournir une quantité astronomique de vin, environ 600 litres, à des convives soit frustrés, soit déjà bien éméchés ! On sait tous comment peut tourner un mariage bien arrosé… Un texte où Jésus est très peu actif au final, où personne ne voit rien du moment où l’eau se transforme en vin, des jarres vides, de l’eau, et hop du vin, un moment où les disciples croient tout simplement, un moment où le manque laisse place à la joie, où le vide est comblé par de la vie en abondance ! En même temps, c’est bien souvent comme cela qu’on se rend compte de la présence de Dieu dans nos vies, à posteriori ! On voit le résultat après, ce vin présent dans nos vies, comment Dieu nous a transformé et comment cela produit réjouissance et abondance là où avant se trouvait le manque et la peine.
Voilà comment commence la Bonne Nouvelle de Jésus Christ dans l’Evangile de Jean ! C’est là que Jésus se manifeste comme le Fils de Dieu, comme Parole incarnée, comme Lumière pour ce monde, comme celui qui vient accomplir le projet de Dieu ! C’est ici que commence l’histoire de cette Parole de Dieu qui vient dans et pour le monde, afin de révéler un monde où l’abondance, l’amour et la joie viennent remplacer la misère, la tristesse et les frustrations !
Bien ! Mais là se pose une question : quelles sont les jarres vides en nous dans lesquelles le Christ pourrait agir ? Ou même, comment vider nos jarres pour laisser de la place à quelque chose de nouveau ? C’est là qu’intervient notre 2ème partie de texte !
Première et dernière fois que Jésus est violent, violent en actes ! On le dit clairement : « Il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous hors du temple, …, il jeta par terre l'argent des changeurs en renversant leurs tables ». Qu’est-ce qui a fait que ce Jésus, que nous connaissons plutôt pacifique dans les actes, se mette à agir aussi violemment ? Et surtout, quand il nous demande de suivre son exemple, que devons-nous tirer de ce moment dans le temple ?
Les autorités même se posent la question. J’imagine assez bien leur tête à voir ce Jésus s’emporter comme cela, béats devant ce qui se passe, n’agissant pas et se demandant « Quel signe nous montres-tu pour agir de la sorte ? ». Et voilà que le signe revient !
Commencement des signes qui témoignent de ce qui est important, de l’Evangile de Jésus-Christ. Après avoir changé l’eau en vin aux noces de Cana, l’un des premiers signes de son ministère est violent, il retourne tout, un signe qui est finalement « Un Grand Ménage ! »
Dans les autres Evangiles, ce texte est placé un peu avant la Passion, au moment de ce que nous appelons la semaine Sainte, juste avant le dernier repas. Jean déplace cette histoire pour l’utiliser comme un moyen de nous faire comprendre ce que sera l’enseignement de Jésus pendant son ministère : il va tout retourner, chambouler, changer. C’est d'abord-là que ce texte nous rejoint : il nous montre clairement ce qu’est l’enseignement de Jésus, ce que nous lisons dans les Evangiles : un chamboulement des habitudes, un changement d'état, un remplissage de jarres vides que nous sommes par un retournement de nos vies, une conversion.
Ce n’est pas pour rien que nous parlons de changements avec ce texte, l’incompréhension des personnes présente est compréhensible, car tout se passait comme à l’habitude. Comme nous arrivons au moment de la Pâques juive, les grandes fêtes, il y avait des sacrifices au Temple comme prescrit par la loi de Moïse. Et pour sacrifier, il faut des animaux : des bovins, des moutons, des colombes qui étaient-là pour les pèlerins qui ne pouvaient pas venir de loin avec leurs propres animaux. Et les changeurs de monnaie étaient indispensables car beaucoup venaient de loin avec des monnaies différentes. Tout ce qui se trouvait dans le temple était donc logique, habituel, normal dirons-nous pour l’époque, la routine quoi !
En fait, tous ceux qui sont présents au moment où Jésus arrive sont en droit d'être ici, en tout cas, selon la tradition. Alors pourquoi Jésus réagit il comme cela et chasse-t-il ceux qui occupaient le parvis du Temple ?
Contre qui en a-t-il ? Les marchands, les changeurs et les pèlerins ? Contre quoi ?
Qu’est-ce qui le dérange vraiment finalement ? Nous le comprenons dans ce verset 16 : Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. Jésus relève ici que la pratique du temple qui devrait-être les sacrifices, la reconnaissance de chacun envers l’amour de Dieu pour son peuple est aujourd’hui reléguée à un autre sens : ce temps n’est plus pour Jérusalem un temps de retour vers Dieu mais source de profits et de marchandages. Et finalement, ce qui est censé être un temps de prières, d'écoute, de louange, ne devient qu’un rite obligé. Cela nous pose question à nous finalement déjà ici : en quoi ce que nous faisons, pratiquons, est relégué au stade de rite habituels ? Une bonne question pour un temps de Carême qui s’est ouvert mercredi. Est-ce que ce temps de Carême qui s’ouvre est devenu un rituel, une habitude de bonne conscience, ou est-il tourné vers Dieu ? Si nous nous mettons dans une situation spirituelle particulière seulement au moment du Carême, qu’est-ce que cela veut dire pour notre foi ?
En fait, quel sens donnons-nous et à quoi ?
C’est peut-être là la question essentielle qui nous est posée par ce texte : quel sens à ce que nous faisons ? C’est cela qui remplit les jarres de nos vies !
A quoi rendons-nous témoignage lorsque nous venons au culte, faisons des études bibliques, lorsque nous chantons, prions, mangeons ensemble ? Quel sens cela a pour nous ? Est-ce seulement pour retrouver les personnes le dimanche matin, pour notre plaisir intellectuel, pour apprendre à chanter, pour dire des jolis mots qui font bien dans une prière ? Ou est-ce parce que tout cela est tourné vers Dieu et nous rapproche de lui ? Que cela est un témoignage de ce qui nous fait vivre ? Que tout cela nous envoie hors de nos murs comme Jésus nous le demande ?
Quel sens donnons-nous à notre foi ? Si nous pouvons poser la question comme cela. En quoi, nos actes de foi, ou même de tous les jours, sont-ils tournés vers Dieu et non plus seulement vers ce qui est terrestre, humain, matériel ? C’est là que Jésus nous fait réagir : lorsqu’il chasse toutes ces personnes, ces animaux du temple, il leur pose la question : à quoi donnez-vous de l’importance : au prix que vous tirerez de ce bœuf ou au fait que quelqu’un puisse se rapprocher de Dieu par le fait que vous lui procuriez un bœuf ?
Mais, bien sûr, nous pouvons avouer qu’il est difficile de se rendre compte parfois que nous dérapons, que nous allons trop loin dans le côté matériel, terrestre de tout ce que nous faisons. Il nous faudrait parfois quelqu’un comme Jésus qui vienne et retourne tout comme il l’a fait dans le temple pour nous dire : là vous n’êtes plus tournés vers Dieu et vers l’annonce de l’Evangile mais seulement sur du profit : du profit matériel, du profit humain, du profit de reconnaissance, d'ego, de jalousie…
C’est sûr, ça serait tellement plus simple si quelqu’un nous disait régulièrement que ce que nous faisons dérape.
Mais, en fait, vous savez quoi ? Jésus le fait régulièrement pour nous : lorsque nous lisons l’Evangile tous les dimanches matin, lorsque nous lisons notre Bible, à plusieurs ou seul dans notre chambre, il retourne les tables de nos dérapages, il chasse les bovins, les moutons et les colombes de nos envies de profits, il nous questionne perpétuellement sur ce sens que nous donnons à tout, par sa Parole à travers les textes bibliques. La Parole de Dieu lue, entendue, partagée, échangée, en paroles et en actes, nous permet de trouver les réponses, pour que nous comprenions ce que nous faisons et pourquoi. Nos activités d’Eglise, nos projets, nos élans, nos idées, ont un sens parce qu’ils s’ancrent dans notre foi, dans cet appel de Dieu à mettre du sens dans nos vies et offrir à d’autres la possibilité de le faire, l’opportunité d’entendre parler de Dieu.
En venant au culte ce matin nous ne venons pas pour conforter notre ego, nous ne venons pas par tradition parce que nous sommes habitués à, mais nous venons rencontrer Un tout Autre pour être libéré de nos peurs, libéré de ce qui nous pèse, relevé, questionné et réconforté dans notre vie en donnant du sens à tout cela. Nous venons pour être envoyé dans ce monde avec ce Dieu qui nous porte.
Le début du ministère de Jésus dans l’Evangile de Jean marque un tournant. Le culte rendu à Dieu doit changer, non pas dans l’idée qu’il faudrait tout raser pour tout refaire non, mais dans le fait que ce n’est pas tant la forme du culte, le rituel, qui est déterminant, mais c’est le croyant en lui-même qui est interpelé. C’est nous, en Eglise, en tant que personnes, qui sommes invités à nous retourner, à avancer pour témoigner à d’autres non pas d’un bœuf à acheter mais d’un Dieu à louer.
Petite anecdote avant de conclure. Ce texte biblique pour la prédication d’aujourd’hui je l’ai pensé et prié en moi pendant que j’étais… sur des skis au milieu de la montagne. Je l’ai lu avant de monter sur mes skis et il m’a accompagné. Que veut me dire ce texte ? Que veut me dire Jésus ? Quelles tables de ma vie il vient retourner ? Qu’est-ce qu’il vient fouetter dans ma foi pour me remettre un peu les pieds sur terre, enfin, sur neige ? Et finalement, je me suis dit que tout simplement c’était ce que j’étais en train de vivre ! Cela faisait une éternité que je n'avais pas lu, prié, pensé un texte biblique en dehors de mon bureau, de chez moi. Qui d’entre nous lit un texte biblique avant d’aller skier, marcher, courir, faire du vélo, faire le marché… et le pense pendant ce moment-là, plutôt qu’assis à une table ou dans son salon ?! Et je me suis dit que déjà là ça retournait quelque chose en moi, retrouver le texte biblique, la Parole de Dieu dans mon quotidien et pas seulement dans les temps « prévus pour ». Et ça m’a fait un bien fou ! Peut-être suis-je trop installée dans ce protestantisme avec ses dogmes et ses rites, dans mon ministère avec des temps cadrés pour ma lecture biblique et ma prière, et Jésus a réussi, la semaine dernière, à retourner un bout de ma foi en me rappelant que sa Parole vient me toucher dans tous les moments de ma vie, encore plus quand ce n’est pas cadré.
En ce temps de Carême qui nous fait avancer vers Pâques, nous sommes interpellés nous aussi sur notre manière d'aborder notre foi, sur notre manière de vivre notre foi, et de participer à la vie de l’Eglise, de notre Eglise, pour, simplement, un témoignage de la Bonne Nouvelle d'un amour inconditionnel avant toute recherche de résultat et de profits.
Pourquoi je fais ce que je fais ? Pourquoi j’agis comme j’agis ? Pour moi ? Pour l’autre ? Pour Dieu ? Quelles jarres pleines Jésus vient-il retourner en moi, vider en moi pour y remettre du sens, de la vie ?
Commencement des signes de Jésus Christ écrit Jean ! Commencement de la Bonne Nouvelle ! Commencement d’un christianisme qui retourne les tables des marchands pour vivre un christianisme qui se passe à table, parce que c'est là que se passent les choses essentielles du vivre ensemble : une communauté de bien, un partage des émotions et des sens, un don de la vie, un accueil des plus petits, un partage d'amis qui fait de nous des frères et sœurs ! Un christianisme qui se vit plus qu’il ne se dit !
Commencement des signes de Jésus écrit Jean ! Oui, ces signes dans l’Evangile de Jean sont les premiers ! Connaissez-vous le dernier ? La résurrection, annonçant une défaite irrémédiable de la mort sous toutes ses formes, et la victoire incontestable de la vie en abondance dans la joie, la paix et l’amour !
Alors oui, n’hésitez pas à remettre la jarre de votre vie à Dieu pour que pleine il la retourne et pour que vide il la remplisse de sens ! Dieu vous donnera de quoi vous enivrer de la vie, par la joie, l’accueil, le partage, l’amour et la conviction simple mais puissante que face au manque, Dieu donne, que face aux frustrations, Dieu apaise, et que face à la peine, Dieu libère !
Et croyez-moi, cela réjouit bien plus que quelques centaines de litres d'un bon vin !
Amen !