Tous paras, tous parés
Tous paras, tous parés !
Prédication du dimanche 1er septembre 2024, par la pasteure Sophie Ollier
Lectures bibliques :
- Marc 2, versets 1 à 12
- Esaïe 58, versets 6- à11
Les Jeux Paralympiques qui se sont ouverts cette semaine sont la bonne occasion pour nous de regarder de plus près cette question du handicap ! Nous n’avons pas attendu les Jeux pour penser cette question, mais ce que nous vivons actuellement, ce que nous voyons, ces athlètes avec lesquels nous vibrons nous rappellent grandement que le handicap n’est pas un petit truc à reléguer à plus tard, mais qu’il fait partie de notre quotidien, qu’il est même, un p’tit truc en plus !
Pour parler du handicap dans la Bible, nous avons le choix ! Nous avons le choix entre tous les miracles qu’a accompli Jésus, que l’on trouve dans les Evangiles, le paralytique, l’aveugle, la femme qui saigne, etc… ou nous pouvons prendre des textes qui nous parlent d’autres handicaps, qu’ils soient physiques comme Moïse qui a des difficultés d’élocution, que ce soient des handicaps psychologiques comme la dépression de Job ou des handicaps sociaux créés par l’environnement des personnes, qui les empêchent d’atteindre le but qu’elles s’étaient fixé. Bref, on a le choix !
Dans tous les cas, la question du handicap se trouve dans la Bible et donc nous parle aussi à nous aujourd’hui ! Et si ça nous parle aussi à nous, et que ça parle de nous, c’est parce qu’en France nous comptons au moins 12 millions de personnes en situations de handicap, soit 1 personne sur 5. Dans cette assemblée donc, nous pouvons envisager qu’1 personne sur 5 est en situation de handicap, handicap physique, mental ou social.
Et oui… 12 millions… ce n’est pas un petit chiffre, et pourtant, nous avons encore beaucoup à apprendre et à faire pour que notre société reconnaisse le handicap et s’adapte ! Il est bon de savoir que 80 % des handicaps sont invisibles ; seule 2% de la population identifiée comme étant en situation de handicap se déplace en fauteuil roulant. Pour les handicaps auditifs ou visuels ce n’est pas toujours visible. Pour les handicaps invisibles nous avons tout ce qui touche au spectre autistique par exemple, ou encore, tous les dys, la dyslexie, dysorthographie, mais aussi tout ce qui est maladies mentales comme la schizophrénie ou la bipolarité par exemple. On a aussi la dépression, le burn-out, l’anxiété sociale, etc… Pour certains handicaps que je viens d’énumérer, nous avons encore du mal en France à les reconnaître, et pourtant ils existent grandement !
Alors là je dis « en France », mais en Eglise où en sommes-nous ? Et justement, qu’est-ce que la Bible peut nous dire là-dessus ? Comment accueillons-nous aujourd’hui, dans ce temple, les personnes en fauteuil roulant, que ce soit pour rentrer dans le temple ou aller aux toilettes ? Pour les personnes qui ont une déficience visuelle, sont-elles capables de livre les recueil de cantiques ou les feuilles de culte ? Pour les personnes avec un trouble auditif, est-ce que notre sono est adaptée ? Pour les personnes qui souffrent d’anxiété sociale ou qui ont une sensibilité aigüe au bruit, avons-nous un espace dans ce temple pour que ces personnes se sentent accueillies ? Et lorsque nous sommes dans les groupes de la paroisse, comment accueillons-nous une personne qui, intellectuellement ou socialement fonctionne différemment ?
Voilà des questions faciles n’est-ce pas pour un dimanche ?! Sachez que le groupe handicap qui s’est constitué dans la paroisse il y a quelques mois, réfléchit à ces questions !
Mais pour entendre les réponses à ces questions, prenons notre texte dans l’Evangile de Marc ! Imaginons la scène 2 minutes, un homme paralysé entièrement et qui se relève et marche ! Nous pourrions nous arrêter simplement à ce miracle, mais plein de choses se joue en vérité dans ce texte, et selon là où se pose notre regard, les interprétations vont être vraiment très différentes.
Si on se focalise sur le paralysé, on voit un récit de miracle qui nous démontre la puissance de Jésus.
Si on regarde les scribes, on lit alors cette histoire comme une dispute avec des religieux sûrs d’eux et incapables de s’émouvoir du malheur d’un paralysé et où Jésus nous montre que l’amour est plus fort que la religion.
Et enfin on peut s’intéresser à la foule. Elle est là en masse et on pourrait lui reprocher de faire obstacle au paralysé, aux petits qui restent bloqués à la porte. Dans ce cas, on prendra en exemple la foi des 4 amis qui rusent pour creuser le toit. Nous aurions alors un enseignement sur la foi des amis anonymes et donc un exemple à suivre dans l’Eglise…
Ces 3 lectures de notre histoire sont possibles. Mais j’aimerais aller plus loin que ça avec vous aujourd’hui.
Comment devenons-nous ces amis qui aident une personne à pouvoir se mettre à l’écoute de la parole de Dieu, même si cela veut dire passer par le toit ? Je crois que c’est cette question qui nous est posée avec ce texte dans l’Evangile de Marc, ces 4 amis qui aident un autre qu’eux à pouvoir avoir accès à la Parole ?
Bien sûr, nous sommes devant un récit de guérison miraculeuse, c’est d’ailleurs ainsi que l’on se souvient de ce texte « Lève-toi, prends ton brancard et marche ! ». Mais si on y regarde de plus près, à aucun moment il ne nous est dit que les amis ou le paralysé demande la guérison, à aucun moment il ne nous est dit que Jésus est là pour faire des miracles, on dit qu’il est là pour « annoncer le Parole de Dieu ». Alors, bien sûr, on nous dit que les amis voulaient présenter le paralysé à Jésus, mais on ne nous dit pas pourquoi. Le sujet donc ici n’est pas tant la guérison du paralysé que le fait que cet homme est amené pour entendre aussi la Parole que ce Jésus a à annoncer.
La foule amassée ne permet pas à cet homme d’avoir accès à cette Parole, personne ne lui fait de la place pour l’amener au plus près. Ses amis trouvent donc un autre moyen pour qu’il y accède ! Par le toit ! Et effectivement, cela veut dire que ça demande plus de travail, plus de réflexion, plus de sueur, mais ça ne les décourage pas. Et c’est même grâce à cela, à leur détermination et à leur foi, à la confiance qu’ils placent dans cette Parole, que cet homme paralysé que personne n’a considéré assez pour lui faire une place, c’est grâce à cette confiance là qu’il peut enfin se trouver face à cet homme qui prêche !
Et Jésus, présent à ce moment-là, ne regarde pas d’abord un homme paralysé, mais un être humain qui vient, tout autant que les autres, chercher une Parole qui le relèverait, au sens spirituel du terme, qui se transforme en Parole qui le relève physiquement. A aucun moment Jésus ne parle de sa maladie, mais ce qu’il fait, par cette parole de pardon, c’est rétablir un lien entre cet homme et Dieu, c’est renouer avec Dieu ! Parce qu’il voit leur foi il pose une parole de lien. Il n’y a là aucun rapport au handicap de cet homme. L’handicap est mis en avant seulement lorsque les spécialistes des Ecritures questionne cette parole de pardon, cette parole de lien avec Dieu, cette parole qui replace cet homme dans toute son humanité.
Et cet état de fait nous touche aujourd’hui : il y a ceux qui, comme la foule, sont captivés par la puissance d’une Parole qui dit la vérité et qui renoue, pour nous, le lien avec Dieu. Et puis il y a ceux qui ont du mal : ils ne veulent de mal à personne, non, juste, dit notre texte, ils se posent des questions en eux-mêmes. Ils n’arrivent pas à croire : il y a trop d’obstacles en eux pour cela. Jésus va donc essayer d’aller les chercher, de les convaincre. Jésus va à eux sans à priori, il les prend comme ils sont, il va les chercher là où ils sont ! C’est déjà un bon exemple pour nous : aller à la rencontre des gens comme ils sont et pas comme on pense qu’ils sont !
Jésus va même chercher les scribes là où ils sont, dans leurs questionnements ! « Est-il plus facile de dire « tes péchés sont pardonnés » ou « Lève-toi, prends ton brancard et marche ? ». Et là arrive le miracle, qui n’a été demandé par personne d’ailleurs ! Mais Jésus, pour aller chercher ceux qui sont dans le questionnement, les met face à leurs propres incohérences.
Alors Jésus va le faire. Relève-toi / Dresse-toi / Réveille-toi : c’est le mot qu’on utilise à la résurrection. Il va ressusciter ce paralysé pour prouver aux scribes qui doutent qu’il apporte réellement le Royaume de Dieu avec lui. Alors cette fois, c’est vrai, il leur a prouvé à tous. Et le récit le dit : Tous étaient frappés de stupeur et ils louaient Dieu. TOUS : les scribes y compris.
Voilà ce que raconte cette histoire : Jésus va chercher tout le monde, là où ils sont ! Jésus va à la rencontre de tous ceux qui s’approchent de lui, ceux présents comme ça, ceux qui sont paralysés dans leur vie, ceux qui doutent ! Jésus va chercher même les sceptiques pour essayer de les convaincre. Et en fait, Jésus répond à tous de manière différente ! Nous l’avons vu, pour la foule attirée par la parole vraie, cette parole suffit à nourrir leur foi. Pour le paralysé, Jésus va rétablir le lien de communion avec Dieu. Et cela semble suffire. Mais pour les scribes, venus écouter et qui sont choqués par l’idée que Jésus puisse se prendre pour Dieu lui-même, pour tous ceux qui n’arrivent pas à croire en Jésus, il va chercher à les convaincre par la résurrection du paralysé qui rend présent le règne de Dieu ici et maintenant.
Il y a bien sûr ici le miracle physique du paralysé qui se tient sur ses jambes !
Mais voilà le vrai miracle de ce récit : Cet homme qui arrive en para, sans dire en paria, en repart paré d’une Parole qui l’a ressuscité, paré à affronter ce monde qui ne l’avait pas considéré, qui ne lui avait même pas laissé une place. Alors la foule croit, elle croit au miracle physique qui s’est produit sous ses yeux, mais elle croit aussi que cette Parole que donne Jésus est vraiment une Parole qui relève et ressuscite !
Mais nous pouvons même aller plus loin, ne sommes-nous pas tous un peu en situation de handicap à des moments ? Ne nous est-il jamais arrivé de nous sentir diminué, bloqué dans une situation, voir même au quotidien parfois ?! N’avons-nous jamais été aidé et/ou accompagné par quelqu’un pour nous relever ? Et plus encore, nous finirons tous en situation de handicap à un moment ou à un autre ! C’est notre finitude même, l’âge amenant son lot de diminution, de dépendance ! Nous ne sommes pas tout puissants dans ces corps et ces esprits que nous habitons ! Sans diminuer les personnes qui sont réellement déclarées en situation de handicap, nous avons toutes et tous nos paralysies.
En fait, je me rappelle ce que nous avons vécu en 2020 lors du Covid ! D’un jour à l’autre nous avons été paralysés, privés de nos mouvements, et pour certains cette paralysie a même été mentale et psychologique. Et je me souviens, je me souviens de la colère qui s’est élevée à ce moment-là. Une colère qui disait « je suis privé de mes mouvements, je ne peux pas faire comme avant », et nous avons dû nous adapter, nous avons cherché le moyen de vivre le mieux possible ces entraves qui nous étaient mises. Nous avons expérimenté à une échelle minime ce qu’une personne en situation de handicap vit tous les jours, à la différence qu’en 2020, la société s’est adaptée, quand, aujourd’hui encore, nous attendons des personnes en situation de handicap visibles et invisibles qu’elles s’adaptent à la société ! Où est notre colère de 2020 pour ces personnes ?
Aujourd’hui, qui sommes-nous alors ? Sommes-nous la foule, qui ne se déplace pas et qui ne fait pas de place ? Sommes-nous les spécialistes des Ecritures qui râlent parce que ça ne correspond pas à leur manière à eux de voir et comprendre les choses ? Sommes-nous ces 4 amis qui adaptent les lieux pour qu’une personne puisse se sentir accueillie et qu’elle puisse avoir accès à la même Parole que nous, peu importe si cela demande de détruire un toit ?
C’est une question à nous poser chacun et chacune individuellement mais aussi en tant qu’Eglise où nous venons chercher ici une Parole qui nous pare de quelque chose de beau pour ce monde et pour nos vies !
Dans le texte d’Esaïe que nous avons lu, juste avant ce passage, au verset 2, Dieu relève le fait qu’on attend de savoir ce qu’il attend de nous ! Et il nous le livre : « libérer ceux qui sont injustement enchaînés, les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, supprimer tout ce qui les tient esclaves ».
Autrement dit, et très simplement dit : donner une place en humanité à celles et ceux que nous rencontrons ! Leur offrir cette ouverture sur un toit qui leur permet de se mettre à l’écoute de cette Parole qui libère des chaînes, qui délivre des contraintes, qui rend libre et qui supprime ce qui tient en esclavage ! Tout ce que, au final, nous aussi nous recherchons, encore plus en Eglise, ensemble.
Est-il plus facile de dire que nous accueillons, ou d’accueillir vraiment ? Nous ne sommes pas Jésus, mais nous proclamons que ce chemin là est aussi le nôtre !
A tous ceux qui, parmi nous, reconnaissent la parole qu’on lit dans les Evangiles comme vraie il a été donné d’être nourris dans leur foi. Comme la foule ce jour-là. Il ne nous reste plus qu’à amener ici tous ceux qui sont paralysés dans leur vie pour que Jésus leur parle directement à eux aussi.
A tous ceux qui sont arrivés ici paralysés, bloqués, pétrifiés par une difficulté énorme, à tous ceux-là, Jésus Christ le déclare : tu es en lien avec Dieu bien au-delà de ce qui te paralyse dans la vie ! Et ce lien est là pour te rappeler que ce qui se joue entre Dieu et toi est plus profond que les difficultés actuelles ! Tu es désormais en lien avec Dieu.
Et puis, pour tous ceux qui, comme les scribes, ont des doutes, sachez que, pour essayer de vous convaincre, vous avez tous assisté à au moins une résurrection aujourd’hui : celle de votre voisin, de votre voisine, au moment même où on proclame que l’amour de Dieu, sa grâce, nous est offert sans condition, cette Parole qui dit à chacun et chacune de nous : Il est bon que tu existes !
Oui, c’est cette Parole que nous proclamons, prêchons, brandissons ! Une parole qui, malgré tous nos empêchements, tous nos handicaps, toutes nos paralysies, une parole qui nous pare d’humanité ! Nous sommes tous revêtus du même amour de Dieu, peu importe notre âge, nos infirmités, visibles ou invisibles ! Nous sommes tous parés de cet amour-là, et nous sommes parés à accueillir !
Tous para, tous parés !
Amen !
Sophie Ollier