Tu vas regarder le ciel encore longtemps ?
Tu vas regarder le ciel encore longtemps ?
Prédication du dimanche 12 mai 2024, par la Pasteure Sophie Ollier
Lectures bibliques :
- Luc 24, versets 44- à 53
- Actes 1, versets 1 à 11
Pendant 40 jours après Pâques, les apôtres entendent Jésus leur parler du Règne de Dieu. Au bout de ce long enseignement, ils n’ont qu’une question en tête : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? C’est-à-dire la révélation pleine de Dieu dans le cœur des humains. Peut-être avons-nous la même question.
Peut-être sommes-nous comme ces apôtres : est-ce maintenant que tu vas faire advenir ton Royaume ? Est-ce maintenant que les humains arriveront à vivre vraiment en paix ? Est-ce maintenant que des hommes, des femmes et des enfants cesseront de mourir sous les bombes de la guerre ? Est-ce maintenant que le vivre ensemble d’une population multiculturelle, multireligieuse, multi-tout va devenir réalité ? Est-ce maintenant que les puissants de ce monde accepteront que tout ne tient pas au compte en banque mais que l’humain prédomine ? Est-ce maintenant que tu établiras ton règne et que sera évité toute catastrophe écologique capable de détruire la création ? Est-ce maintenant ?
D’une certaine manière, je trouve, il serait facile avec toutes ces questions de se cloisonner, de rester entre nous, et puis, finalement, de ne regarder qu’à Dieu, tourné vers lui en continue en oubliant de regarder ce qui nous entoure parce que cela peut nous désespérer !
Mais là est toute la question ! Vivre entre le ciel et la terre, entre l’Ascension du Christ et la descente de l’Esprit, vivre entre la prière tournée vers Dieu et l’action tournée vers l’Humain ! Où sommes-nous ?
D’emblée, Jésus fait taire fermement ce type de questionnement. Avec autorité il affirme : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.
D’une certaine manière, cette question n’a pas de sens aux yeux de Jésus. Alors qu’est-ce qui fait sens pour lui ? C’est le don de l’Esprit qui transforme ses disciples en témoins. « Vous recevrez une force quand l'Esprit saint descendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu'au bout du monde. »
Ce texte de l’Ascension, je le crois, aborde ce thème qui reste d’actualité pour nous croyant, pour nous Eglise. Comment vivre entre l’appel à se tourner vers Dieu, le prier, le louer, et l’appel à aller et à agir ? Quel équilibre entre être là et aller témoigner ?
Il est vrai que Jésus, bien qu’il demande d’attendre, il envoie !
Jésus pose l’invitation à être une Eglise de témoins, Jésus nous donne notre élan, et le moteur c’est le Saint Esprit.
Et comme à chaque fois, les paroles de Jésus rappellent tout un thème qui est déployé dans l’Evangile de Luc : l’action du Saint Esprit dans le ministère de Jésus et pour nous.
Nous l’avons d'ailleurs dès les annonces de sa naissance, ou encore avec le récit du baptême, avec un accent sur le Saint Esprit, plus que dans les autres Evangiles (saint esprit descendant à Jésus sous forme corporelle, sous la forme d'une colombe), d’où la colombe sur nos croix huguenotes. Début d'un ministère qui est porté par le Saint Esprit, par sa puissance (c’est par cette puissance que Jésus sort dans le désert, c’est dans la force de l’Esprit qu’il ira rencontrer les gens et guérir les malades, etc…).
C’est déjà un rappel important pour nous, que notre mission à être des témoins, à être une Eglise de témoins (sous-titre de l’Eglise Protestante Unie de France), ne dépend pas de nous, ne dépend pas de notre histoire, de nos origines, de nos racines, même si tout ça c’est important, même si tout ça donne une coloration à la manière dont nous allons témoigner, à la manière dont on va habiter ce témoignage, parce que c’est quand même nous qui parlons (ou agissons).
Par contre, il est vrai que parler d'être une Eglise de témoins, de partir en vadrouille témoignage, ça peut induire certains écueils. D'un côté on peut être trop enthousiaste si on est de tempérament à être bien boosté, à être encouragé, à partir dans une dynamique. Les disciples avaient surement cet élan aussi, ils avaient entendu Jésus leur dire « vous serez mes témoins à Jérusalem et bien plus loin que ça ». Et être « trop » peut freiner certains.
Autre écueil possible : le défaitisme devant l’ampleur de la tâche, Jésus parle à un petit groupe. Dans Luc il leur dit d'aller jusqu’au bout du monde, contrairement à Matthieu qui il leur est dit « aller chez tous les peuples ». Luc va accentuer à quel point cette tâche est difficile voire impossible. Très loin, beaucoup plus loin qu’eux n’ont jamais voyagé, rappelons qu’à l’époque il n’y a pas d’avions.
On imagine bien qu’ils se regardent et disent « ah ben il est bien idéaliste, il y va fort, on ne voit pas trop comment on va le faire ».
Et c’est sûr que devant l’ampleur de la tâche, devant les réalités de nos paroisses, devant l’état de notre monde, devant les difficultés on a parfois tendance à baisser les bras et dire « non, mais ça ne servira à rien ! » La tentation de se laisser dégonfler, des baisser les bras, est tout à fait réelle pour nous, tout autant que d'y aller avec trop de zèle, et d'essayer de le faire trop vite.
Il est facile de se replier dans sa chapelle devant cette tâche immense, à ne regarder que nous et notre nombril.
Mais y’a aussi un autre écueil : c’est la tentation de s’asseoir sur nos acquis, de se contenter de ce que nous avons et de s’arrêter. On fait déjà très bien telle ou telle chose, pourquoi changer ? Pourquoi faire de nouvelles choses ? Pourquoi oser ?
Mais si les paroles de Jésus à la fin de son ministère, là dans l’Evangile de Luc, donnent UNE chose, c’est le sentiment de mouvement ! Ce n’est pas simplement aller partout ! Là y’a un programme, une feuille de route : il faut en permanence se déplacer, il faut à chaque fois aller un tout petit peu plus loin.
Aller chez tous les peuples ou au bout du monde c’est difficile, mais aller de A à B, de B à C, de C à D nous rappelle que chaque jour nous sommes obligés d'aller un tout petit peu plus loin. C’est encourageant, parce qu’aller de A à B c’est plus facile que d'aller tout de suite de A à Z.
Alors, aller de A à Bible c’est facile. Mais, vous pensez bien, le Saint Esprit ne va pas se contenter de nous laisser sur place ! Dans tout le livre des Actes il faut bien qu’à chaque fois le Saint Esprit bouscule un peu les disciples, que ce soit en introduisant de nouveaux éléments, l’arrivée de Saul, le perturbateur, que personne ne croit d'ailleurs, ils pensent tous que c’est une ruse. Ou bien la persécution, qui les oblige à sortir de Jérusalem pour aller plus loin ! Ou bien des rencontres fortuites ou inattendues comme Pierre avec Corneille qui déstabilise à tel point qu’il n’arrive plus à tout faire rentrer dans les cases ! Ou bien Saul qui doit sortir de ses idées pour se laisser complétement retourné par un Seigneur qu’il persécutait avant. Vous voyez à quel point le Saint Esprit intervient à différentes étapes pour les aider, jusqu’à aller un peu plus loin, jusqu’à vivre de nouvelles choses, oser ! Il est vrai, par contre, que ce n’est pas toujours évident et que parfois, il faut batailler !
Il faut imaginer des choses, inventer des choses, et en même temps on ne veut pas abandonner toutes nos richesses, et nos racines, notre histoire, et le but reste l’annonce de la Bonne Nouvelle. On voit bien qu’ils sont en permanence entre l’expérimentation et la fidélité ; tout ça parce que le Saint Esprit est le moteur et qu’il les empêche de s’asseoir, il les empêche d'être trop confortable.
Ce qui est important c’est de ne pas s’installer. Et Jésus le dit bien dans ces deux passages, où à chaque fois il leur dit d'attendre. Ce qui est intéressant dans l’attente c’est que ce n’est pas un lieu d'arrivée, mais toujours un lieu de départ, on attend quelque chose, on ne s’installe pas dans l’attente.
Par définition l’attente c’est une préparation pour autre chose. Et chaque fois qu’on s’installe dans cette attitude d'attente on passe à côté de quelque chose. Et heureusement que le Saint Esprit est là, pour bousculer, pour nous rappeler que notre attente ce n’est pas de se contenter de ce qu’on a, de réduire parfois nos attentes, ou bien de nous satisfaire de ce chemin qu’on a déjà parcouru, mais pour nous déstabiliser, pour à la fois nous rendre joyeux et reconnaissant pour tout ce que nous avons reçu, mais aussi nous ouvrir vers de nouvelles possibilités. Et oui, honorer le passé, vivre le présent et oser l’avenir ! Voilà ce que nous fait vivre l’Esprit !
Comme dans les textes que nous avons lus, l’attente n’est pas la fin, mais le début ! D’autant plus quand Jésus s’en va, avec cette question des deux hommes en blanc : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder le ciel. » Nous pouvons rester dans nos habitudes et notre sécurité, passer notre temps à regarder le ciel, Dieu, sans se mettre à l’écoute de l’appel, de l’Esprit qui nous inviterait à baisser le regard et voir ce qui se tient devant nous : le monde et ses extrémités !
J’aimerais vous raconter une courte histoire :
Deux hommes font une promenade. Le premier lève la main pour rendre son compagnon attentif à quelque chose de très important pour lui : il montre en direction du ciel. C'est à ce moment-là que son compagnon lui prend le bras. Lui aussi a tendu la main, non pas tendue vers le ciel, mais vers le bas, sur le chemin. Car un gros trou béant s'ouvre soudain devant eux. Attention, danger !
Et oui, si on passe notre temps à regarder le ciel, à n’être que bien au chaud entre nous, dans notre prière, nous risquons de nous prendre les pieds dans un trou ou dans le tapis ! Et si nous ne regardons que le sol, à nos risques et périls de se prendre un poteau !
D’un côté nous avons l’attente, tournée vers Dieu, reconnaissants du chemin parcouru, et nous avons l’envoi qui, lui, nous fait regarder devant nous, de manière terrestre ! Nous pouvons passez des heures à parler théologie et textes bibliques, mais à quoi cela sert-il si ce n’est pour être au service du monde qui nous entoure ? A nous d’être attentifs, dans nos différents temps ensemble, en Eglise, à ce que cela peut produire et produit !
Dans l’Evangile de Luc on peut regarder le ministère de Jésus sous cet angle-là : il est attentif aux situations, et quand le moment arrive, il est audacieux dans les rencontres, il vit l’inattendu et il s’adapte, il prend les choses telles qu’elles viennent, avec souplesse ! Il se laisse rejoindre et réagit en fonction de ! Et pourtant, il garde le cap fixé au départ, son regard tourné vers Jérusalem. Il sait où il va, mais il se laisse interpeler par des rencontres, par ce qui l’entoure !
Lui garde son cap, va jusqu’à Jérusalem, pour qu’ensuite, d’autres prennent le relais, depuis Jérusalem ! A n’en pas douter, la mission est tournée vers le ciel, mais l’action, elle, est tournée vers la terre ! Un juste équilibre entre l’attente de la mise en route de l’Esprit et l’action humaine !
Et si, chacun et chacune de nous avions besoin de ça aujourd’hui ? Et si notre Eglise avait besoin de ça aujourd’hui ? De se laisser surprendre par l’Esprit et d’oser avancer en s’adaptant à ce qui nous entoure ? Pas la peine de révolutionner, de A à B, de B à C, tous avec nos dons respectifs. On peut parler de chacun de nous, de notre Eglise de Pentemont-Luxembourg mais aussi de l’Eglise nationale qui, ce week-end en Synode, a réagi et essayé de discerner de nouveaux ministères !
L’Ascension que nous célébrons aujourd’hui est donc bien une réponse à cette question : « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »
Peut-être sommes-nous dans l’attente, comme les disciples ce jour-là, mais attention à ne pas nous prendre le pied dans le tapis en ne regardant que le ciel, ni à nous prendre un poteau en ne regardant que le monde ! Et surtout, ne doutons pas que l’Esprit Saint est présent pour mettre, devant nous et en nous, une force nouvelle qui, comme les disciples, nous mettra dans la joie ! Alors oui, honorons le passé, vivons le présent, et osons l’avenir !
Amen !