Il est temps d'innocenter Dieu le Père de la mort de son Fils
Copyright : Mateus Campos Felipe
Prédication pour la semaine sainte, avril 2020
Par le pasteur Andreas LOF
Il est temps d’innocenter Dieu le père de la mort de son fils
Evangile selon Mathieu ch. 21 : 31 - 43
Et Jésus disait : Écoutez une autre parabole. Il y avait un maître de maison qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage.
À l’approche des vendanges il envoya ses serviteurs vers les vignerons, pour recevoir les fruits de la vigne.
Les vignerons prirent ces serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième.
Il envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers ; et les vignerons les traitèrent de la même manière.
Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant : Ils respecteront mon fils.
Mais, quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : C’est lui l’héritier, venez, tuons-le, et nous aurons son héritage.
Ils le prirent, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons
Ils lui répondirent : Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui donneront les fruits en leur saison.
Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale, celle de l’angle ;
C’est du Seigneur que cela est venu, Et c’est une merveille à nos yeux ?
C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira les fruits.
Chers frères et sœurs en Christ,
C’est à Jérusalem, quelques jours avant son arrestation, sa crucifixion et sa mort que Jésus raconte cette parabole.
Dans cette parabole Jésus parle du rejet dramatique et meurtrier qu’il va subir de la part des responsables religieux de son peuple.
C’est lui, Jésus, le fils dans la parabole. Le fils, envoyé par son Père, qui va être tué par ceux qui ont mis la main sur la vigne du Maître.
Les serviteurs ce sont les prophètes envoyés avant Jésus vers la vigne d’Israël.
Eux aussi, ils ont été rejetés et tués par le pouvoir religieux à Jérusalem.
La vigne du Maître représente la vigne de Dieu, le peuple de Dieu. (cf. Esaïe chapitre 5)
Les vignerons sont ceux qui ont mis la main sur ce qui ne leur appartient pas : la vigne, c'est-à-dire le peuple de Dieu.
La fin du texte le dit clairement : les pharisiens et sadducéens ont tout de suite compris que Jésus parle d’eux (Mathieu 21 vs 45)
Avec cette parabole Jésus dévoile publiquement leur projet meurtrier contre lui.
Oui, pharisiens et saducéens ont décidé de se débarrasser du rabbi de Nazareth.
Ce rabbi de Galilée qui n’a pas arrêté de les provoquer en se moquant de la loi de Moïse le jour du sabbat, en s’entourant des gens peu respectueux, en se prenant pour Dieu en pardonnant leurs péchés.
Il en a fait trop.
Pourtant ils le savent : il est très populaire auprès du peuple. Trop populaire à leur goût.
Son entrée à Jérusalem avec sa bande de disciples de Galilée a été une triomphe.
Il a été acclamé comme le nouveau Messie. Il a créé ensuite un véritable désordre au temple en chassant les commerçants du temple.
C’était une provocation publique contre leur pouvoir, contre le temple et contre les responsables du temple !
Il faut bien l’arrêter un jour ce dangereux, trop subversive et trop populaire rabbi de Nazareth !
Oui, ce sont bien les pharisiens et sadducéens qui ont fait arrêter Jésus dans la nuit, dans un parc hors des murs de Jérusalem.
Ils l’ont condamné à mort dans un procès expédié dans la même nuit.
Ils l’ont ensuite livré, tôt le matin, au pouvoir romain avec l’accusation qu’il soit un rebelle contre leur pouvoir, qu'il se prend pour le nouveau roi d'Israël !
Ponce Pilate, le gouverneur romain l’interroge au moins deux fois.
Il le croît innocent.
Un fanatique religieux à la limite mais pas un homme dangereux pour le pouvoir romain. Voilà la conclusion de Pilate.
Mais … sous la pression du peuple rassemblé et excité par les pharisiens et sadducéens, et menacé d'être dénoncé auprès de Rome en cas d'indulgence, il finit par agir en homme politique : il fait exécuter Jésus. Jésus sera pendu sur un bois jusqu’à l’asphyxions, la punition pour tout rebelle contre le pouvoir romain. La crucifixion aura lieu le même jour hors des murs de la ville. Avec deux rebelles politiques à coté de Jésus.
Ponce Pilate a eu sa part de responsabilité.
Mais avec sa parabole Jésus désigne d’abord et sans ambiguïté les pharisiens et les sadducéens comme les responsables principaux de sa mort à venir.
Même avant le déroulement des évènements, Jésus les renvoie à la vérité de leurs actes, à leur endurcissement et à leur responsabilité dans le meurtre du Fils de Dieu.
La pointe de ma prédication portera sur une phrase dans la parabole Jésus.
Jésus met dans la bouche du Maître de la vigne, le Père du fils cette parole :
« J’espère qu’ils respecteront mon fils » ; d’autres traduisent : « J’espère qu’ils épargneront mon fils ». Ce détail dans la parabole est bien plus qu’un détail !
Je crois qu’il nous invite à mettre en question une certaine interprétation chrétienne de la mort du Christ très répandue et ancrée dans l’histoire chrétienne et cela depuis au moins une dizaine de siècles.
Nous sommes tous habitués à ce langage chrétien qui dit : ‘c’était dans le plan de Dieu que le fils meurt sur la croix’. Ou encore : ‘le Père a envoyé son Fils pour mourir sur la croix’.
Il faut bien sûr ajouter : pour le salut des hommes, pour nous réconcilier avec Dieu.
C’est pour notre salut que Jésus devrait mourir, selon le plan de Dieu.
Mais ce langage, cette interprétation théologique, ne dit-il pas que le Père a voulu, prémédité et envoyer son fils à mourir ?
Parce que, au fond, c’est l’exécution de Son Plan et de sa Volonté ?
Certes, mais est ce que la mort de son fils était le moyen nécessaire pour obtenir cela ?
Est-ce que le Père avait besoin de la mort extrêmement violente, sanglante et humiliante de son fils pour pouvoir nous pardonner et se réconcilier avec l’humanité ?
N’est pas faire de Dieu en quelque sorte le bourreau de son fils. Un Dieu qui regarde du haut de son ciel son fils souffrir parce qu’il fallait bien que quelqu’un Lui paie le prix... Le prix de notre péché ?
Est-ce que nous reconnaissons là le Père que Jésus nous a révélé ? Un père qui pardonne sans condition, qui est un père bon, bien au-delà de la bonté des hommes ?
Comment concilier l’image de ce père-là révélé par Jésus avec ce père qui a besoin du sang, de la mort de son fils, pour pouvoir nous pardonner ?
Quel père humain veut et ordonne la mort de son fils ? Est-ce c’est un père qui aime son enfant ?
Ce schéma théologique qui nous dit que Dieu le Père avait besoin de la mort de son fils est malheureusement très profondément entré dans la théologie et pensée chrétienne, dans nos consciences à tous, à vous et moi.
Nous ne sommes, hélas, plus choqués par la terrible contradiction qui se présente ici à nous !
Contradiction entre le père que Jésus a prêché tout au long de sa vie et ce père qui a besoin du sang, de la mort de son fils pour pouvoir nous pardonner.
Dans la parabole des vignerons qui tuent les serviteurs envoyés vers la vigne et en final aussi le fils Jésus fait dire au maître, le père « j’espère qu’ils épargneront mon fils ».
Voilà ce que Jésus fait dire à son Père en rapport à sa mort !
Le schéma théologique que nous venons d’évoquer - qui voit la mort du Christ comme l’exécution du plan de Dieu, le Père - a des racines profondes dans l’histoire du christianisme.
Il nous vient du Moyen Age. Le théologien Anselme l’a systématisé dans un œuvre célèbre « Cur Deus Homo ». Pourquoi Dieu est devenu homme ?
A cette question Anselme a répondu : « le Dieu offensé par le péché des hommes avait besoin d’une réparation à la hauteur de l’offense faite à sa justice et honneur".
Seul le sacrifice du Fils de Dieu, le seul innocent et sans péché, pouvait faire réparation et donner satisfaction à la justice et l’honneur bafouée de Dieu.
C’est cette pensée théologique qui dit que Dieu avait besoin de la mort de son fils pour pouvoir pardonner l’humanité.
C’est ce schéma théologique qui est entrée dans la conscience, la pensée et la prédication chrétienne.
Depuis quelques décennies des théologiens protestants et catholiques renommées dénoncent ce schéma comme contraire au message du Christ et comme une caricature de la foi chrétienne.
Il amène à une image de Dieu tout à fait troublante : un Dieu d’amour qui a besoin en même temps du sang de son fils pour pouvoir pardonner, incapable de pardonner sans le sacrifice sanglant, humiliant de son fils.
Dieu avait-t-il besoin de ce sacrifice de son fils ?
Jésus ne dit-il pas (en Marc 12,33) « l’amour de Dieu et du prochain vaut mieux que tous les sacrifices et holocaustes » ?
En Mathieu 9,13 Jésus dit, en citant le prophète Osée « c’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice, dit Dieu ».
Voilà donc la volonté de Dieu : l’amour du prochain et l’amour de Dieu, la miséricorde et non des sacrifices……cette volonté-là Jésus l’a vécu pleinement jusqu’à donner sa vie, jusque dans sa mort.
La justice de Dieu sur la croix ne s’est-elle pas manifestée parce que quelqu’un est allé jusqu’au bout de l’obéissance à cette volonté-là, c’est-à-dire, jusqu’au bout de l’amour ?
L’Evangile de Jean l’a bien compris dans ce sens :
« Quand son heure était venue Jésus est allé jusqu’à l’extrême de l’amour (Jean 13,1) ».
ou encore « il n’y pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (15,13) ».
Quelle était la volonté de Dieu, le plan de Dieu à l’égard de Jésus, son Fils ? Qu’il meurt ? Non, qu’il aille jusqu’au bout de l’amour.
Librement le Christ a donné sa vie pour nous réconcilier avec le Père. Comme un acte ultime de son amour, en donnant tout, même sa vie.
Il n’a pas donné sa vie pour répondre au besoin d’un sacrifice humain de son Père.
Il faillait une victime, un sacrifice, celui d’un être cher, son propre fils pour nous réconcilier avec Dieu ?....
Non, il fallait quelqu’un qui répondait au désir le plus profond de Dieu : un homme qui aimait Dieu et son prochain de tout son cœur, son âme, ses forces et même sa propre vie, qu’il est prêt à donner pour aller jusqu’au bout de cet amour et de son obéissance à Dieu.
Ou était l’erreur d’Anselme, à l’origine de cette terrible et troublante théologie qui disait qu’il fallait la mort du Christ pour rendre satisfaction à Dieu et à sa Justice ?
La notion de Justice d’Anselme est au fond féodal et romain. Elle n’a rien de biblique !
Elle est profondément inspirée par le monde féodal du Moyen Age : l’honneur offensé d’un maître a besoin d’une réparation.
Il faut qu’un prix soit payé. A la hauteur de l’offense.
La justice romaine allait déjà dans ce sens : il faut une réparation, en principe à égalité des dommages causés.
La justice selon la bible ce n’est pas cela. C’est tout autre chose.
Ce n’est pas une justice juridique ! C’est la justice de Dieu de libérer son peuple d’Egypte, qu’Il vient au secours des pauvres et des faibles. C’est sa fidélité jamais démentie à sa Parole, à Ses Promesses, à Son Alliance avec son peuple. Sa justice c'est encore la Vérité et la Lumière de Dieu qui révèle notre péché.
Un exemple parmi d'autres : tiré du psaume 40: " Dans la grande assemblée j'annonce ta Justice....j'ai parlé de ta loyauté, de ton salut, je n'ai pas dissimulé ta fidélité et ta vérité à la grande assemblée"
Jésus a prié sur la croix pour nous tous : " Père pardonne leur ils ne savent pas ce qu'ils font' Et Dieu a exaucé cette prière de son Fils.
La Justice de Dieu manifestée sur la croix est Son Pardon.
Son pardon pour nous tous, à tout jamais.. malgré notre rejet de Lui.
Dieu nous pardonne à cause de la vie offerte et donnée du Christ.
« Ceci est ma vie donnée, offerte, pour vous »... dit le Christ à ses disciples pendant son dernier repas avec eux et leur donnant le pain et le vin.
"En rémission des péchés" ajoute Jésus. Par sa vie donnée nous sommes réconciliés avec Dieu malgré notre rejet de Dieu, notre rejet du Fils de Dieu.
Mais le Christ est ici dans une logique du don, une logique d'amour et non pas dans une logique de réparation à la Justice de Dieu par un sacrifice humain.
Oui, la croix est le sacrifice du Fils mais dans le sens de l'offrande de sa vie et de sa mort.
Pas dans le sens d’un sacrifice sanglant que Dieu aura besoin pour nous pardonner.
Une mère peut se sacrifier pour son enfant. Mais cela est un acte d’amour, un amour qui s’oublie soi-même pour l’autre, qui est prête à souffrir pour l’autre.
Dieu n'a pas besoin de victimes pour pouvoir nous aimer ou pardonner ! Et encore moins celui de son fils.
Le père espère qu'ils épargneront son fils. Parce qu'il aime son fils. Il veut la vie pour son fils et un fils qui va jusqu'au bout de l'obéissance et de l'amour pour lui et pour les hommes.
C'est ce père là que Jésus nous a révélé.
Depuis Anselme depuis le Moyen Age une idée de justice féodale et romaine a pu remplacer dans le christianisme la notion biblique de justice qui dit toute autre chose.
Cela a d'une manière grave et catastrophique troublé l'image du Père de Jésus.
Non le Père de Jésus n'a pas un double visage : Père plein de miséricorde d'un côté et un père cruel qui a besoin du sang et de la mort de son fils de l'autre.
Non, tout cela a été une terrible mécompréhension de la justice de Dieu et de l'amour de Dieu.
La Justice et l’Amour ne sont pas opposés et contradictoires en Dieu.
Dieu n'a pas un double visage.
Il n’a pas un côté pervers et violent derrière un visage plein de bonté et de tendresse.
Non ! Dieu merci.
Il est temps pour notre conscience chrétienne, après tant de siècles, d'innocenter Dieu, le père, de la mort de son Fils.
L'enjeu est bien la crédibilité du message chrétien.
AMEN