Je crois en Dieu qui chante
Je crois en Dieu qui chante
Prédication du dimanche 24 novembre 2024, par le Pasteur Christian Baccuet.
Matin : baptême d’Arthème, 2 ans.
Soir : culte avec des extraits de la Messe en Si par le Chœur de Pentemont-Luxembourg et le Chœur du Temple de Port-Royal, direction Florian Westphal.
Lectures bibliques :
- Psaume 150
- Ephésiens 5, 19
J’ai intitulé cette prédication « Je crois en Dieu qui chante »… Mais, dans la Bible, il ne nous est jamais dit que Dieu chante !
Chanter est pourtant une belle chose. C’est un souffle qui nous traverse, notre corps qui vibre, notre mémoire affective qui résonne. Que l’on chante seul ou avec d’autres, que l’on chante fort ou que l’on fredonne doucement, que l’on chante juste ou faux, que l’on chante un chant que l’on aime ou que l’on improvise, c’est un moment qui nous porte. Musique et paroles se mêlent et donnent sens à notre vie. Ce n’est pas un hasard si le chant est au cœur de notre tradition protestante, en particulier dans nos cultes.
1. Tradition protestante
Pour Martin Luther, le chant était un moyen de prier Dieu, de transmettre sa Parole, de former les fidèles, de renforcer la communion entre eux. Il a développé le chant en langue vernaculaire, avec mélodies originales ou sur des airs populaires. Il écrivait : « J’aime la musique. […] Car la musique est 1. un don de Dieu, non des hommes ; 2. elle rend les âmes joyeuses ; 3. elle fait fuir le diable ; 4. elle produit une joie innocente et, en même temps, périssent les colères, les passions, l’orgueil. Je donne la première place à la musique après la théologie. Cela ressort de l’exemple de David et de tous les prophètes qui exprimèrent en vers et en chants tout ce qu’ils avaient à dire. 5. Elle règne en temps de paix. Persévérez donc et il en ira mieux grâce à cet art après nous, parce qu’on vivra en paix. »[1]
La musique et le chant sont expressions de foi qui rendent joyeux, qui chassent le mal, qui créent la paix !
Dans la tradition luthérienne, on sait l’importance de Jean-Sébastien Bach, qui a écrit de nombreuses cantates pour accompagner le culte, notamment, pendant plus de quinze ans, chaque dimanche pour l'église Saint-Thomas de Leipzig. Il a écrit aussi quelques messes, dont la Messe en Si dont nous écoutons quelques extraits aujourd’hui[2]. Bach écrivait : « La raison et le but final de toute musique ne doivent pas être autre que l’honneur de Dieu »[3]. Et il signait ses partitions avec les trois lettres SDG, Soli Deo gloria, « A Dieu seul la gloire ». Le chant est louange à Dieu.
Jean Calvin a également développé le chant au cœur du culte. Il écrivait qu’il y a « deux espèces » de prières publiques: « Les unes se font par de simples paroles, les autres avec chant. […] Et à la vérité, nous connaissons par expérience que le chant a grande force et vigueur pour émouvoir et enflammer le cœur des hommes, pour invoquer et louer Dieu d’un zèle plus véhément et ardent. […] Que même dans les maisons et dans les champs ce nous soit une incitation, et comme un instrument pour louer Dieu, et élever nos cœurs vers lui, pour nous consoler, en méditant sa vertu, sa bonté, sa sagesse, et sa justice, ce qui est plus nécessaire qu’on ne saurait dire. »[4]
Le chant est moyen d’édification spirituelle et témoignage devant les hommes. On chante pour prier, dans la simplicité des voix et la force des paroles inspirées de la Bible. Dans la tradition calviniste, chanter les Psaumes est particulièrement central.
2. Dans la Bible
Le livre des Psaumes est au centre de nos Bibles, au cœur de la prière juive et de la prière chrétienne. Les Psaumes sont des chants, dont il nous reste les paroles mais dont les mélodies sont hélas perdues. 150 chants qui étaient accompagnés d’instruments de musique, dont plusieurs évoqués dans le Psaume 150, ce psaume qui conclut l’ensemble du recueil par une vaste glorification de Dieu.
Le livre des Psaumes date sans doute du 5ème siècle avant notre ère ; il est la compilation de chants dont l’origine s’étale sur plusieurs siècles et dont les auteurs sont divers : David (73 psaumes), les fils de Coré, Asaph, les fils d’Asaph, Moïse, Salomon, et des psaumes non attribués à quelqu’un. La diversité de contenus de ces chants est remarquable : chants de louange, prières de détresse, prières pour les pèlerinages, chants d’amour, psaumes royaux, glorification de la loi… Certains renvoient à un événement particulier dans l’histoire des Hébreux ou dans la vie du psalmiste. Ils résonnent ainsi existentiellement dans la vie de celui ou celle qui les chante.
Dans le Nouveau Testament, on trouve 126 citations explicites des Psaumes, et plus de 400 en comptant les allusions. Jésus les a priés[5]. Il les a étudiés[6].
Dans la Bible, le chant n’est pas cantonné dans le livre des Psaumes. Il traverse toute l’Ecriture, toute l’histoire ; par exemple Moïse et le peuple après la traversée de le Mer Rouge[7] ; Débora, prophétesse et juge (cheffe du peuple), après une victoire sur les ennemis[8] ; le roi David[9] ; le peuple en exil à Babylone[10] ; le peuple délivré de retour à Jérusalem[11] ; Marie après l’annonciation[12] ; les anges messagers de la naissance de Jésus[13] ; Jésus et ses disciples après le repas de la Cène avant que Jésus soit arrêté[14] ; Paul et Silas en prison[15] ; les créatures célestes et les croyants dans l’Apocalypse[16].
Toute l’histoire. Chaque événement, heureux ou dramatique, est porté dans le chant, dans la confiance en Dieu qui accompagne les siens, ainsi que le chante le Psaume 150 : « Acclamez-le pour ses exploits, acclamez-le pour sa grandeur infinie ! »
En tous lieux, dans le Temple comme dans la nature : « Acclamez Dieu dans son lieu saint, acclamez-le sous la puissante voûte des cieux ! »
Avec tous les instruments de musique, à vent, à corde, à percussion : la trompette, la harpe, la lyre, le tambourin, la guitare, la flûte, les cymbales sonores, les cymbales éclatantes ! Apolline m’a dit que « c'est tout à fait Arthème cet éloge des cymbales et du tambourin retentissants ! ».
Dans la prière qui sollicite tout le corps : « Acclamez-le avec la danse ! »
Dans la vibration qui se partage collectivement. Dans la prière qui s’élance vers Dieu depuis chaque croyant, chaque croyante. Et même plus largement : « Que tout ce qui respire acclame le Seigneur ! ».
Du premier mot du Psaume, « Alléluia » – acclamez le Seigneur –, au dernier, « Alléluia » – Acclamez le Seigneur ! Vibrant appel, par le chant, à chanter partout et toujours !
Appel repris dans la Lettre aux Éphésiens que nous avons lue tout à l’heure[17], ou dans celle aux Colossiens : « Chantez à Dieu, de tout votre cœur et avec reconnaissance, des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés par l'Esprit. »[18]
Il n’est pas dit dans la Bible que Dieu chante, mais il est entouré de chants ! Il les reçoit dans la louange, il les inspire dans la foi. Tout chante pour lui et tout chante par lui. Et si la mention du chant de Dieu n’est pas directement explicite, elle se trouve sans doute dans un verset comme Sophonie : « Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi : il est fort et il t'assure la victoire, il rayonne de bonheur à cause de toi, son amour te donne une vie nouvelle, il pousse des cris joyeux à ton sujet. »[19]
Dieu est inspiration du chant, quand sa joie est contagieuse ! Calvin écrivait à propos des Psaumes que, « quand nous les chantons, nous sommes certains que Dieu nous met en la bouche les paroles, comme si lui-même chantait en nous pour exalter sa gloire. »[20]
Oui, chanter est au cœur de la foi, car le chant est relation. Dieu chante à travers nos chants !
3. Enchanter le monde
Mais ici surgit une question : comment chanter dans un monde désenchanté ? Dans un monde plongé dans la violence et la peur ? N’est-ce pas inconscient de chanter de joie quand d’autres pleurent ? N’est pas égoïste de chanter alors qu’il y a urgence à s’engager ? Le monde souffre et nous chantons ?
Les Psaumes ont été écrits par des personnes qui vivaient dans un autre univers culturel et scientifique que le nôtre, mais qui traversaient les mêmes souffrances, les mêmes angoisses, les mêmes joies que nous. Ils vivaient, aimaient, pleuraient, se révoltaient, espéraient comme nous. Toutes les situations et les sentiments étaient portés par ces hommes et ces femmes dans le chant : louange, joie, détresse, confiance, appel à l’aide, cri de révolte, chant d’espérance… Leurs mots sont des mots qui auraient pu être écrits aujourd’hui. Ils peuvent être, aujourd’hui, nos mots.
Ce sont des mots qui ne fuient pas la réalité mais qui s’y inscrivent pleinement. Ils permettent de traverser cette réalité, porté par une dimension plus grande que celle du désespoir. Ils expriment la foi d’être porté par Dieu, même au cœur de la plus grande épreuve. « Même si je marche dans la vallée de l'ombre et de la mort », comme le chante l’auteur du Psaume 23, « Le Seigneur est mon berger », que nous avons étudié lundi dernier dans la cadre du groupe biblique du lundi. Et le mois prochain, nous étudierons le Psaume 51, prière de David qui se situe au cœur du drame, après que le roi tout puissant se soit emparé, sans son consentement, de Bethsabée, et qu’il ait fait tuer Urie son mari[21].
Le chant n’est pas une fuite loin de la réalité, c’est la foi au cœur de la réalité. Comme la croix est la présence de Dieu au cœur de notre histoire, de ses souffrances et de ses injustices. Comme la résurrection est la dynamique de vie qu’il ouvre dans nos vies et dans ce monde. Passage de la mort à la vie signifié par l’eau du baptême, invitation à suivre le Christ, comme nous allons le chanter tout à l'heure : « Ô Jésus, ta croix domine Les temps, les peuples, les lieux […] Dans les pages du saint Livre, Les prophètes ont chanté Ta mort qui nous fait revivre, O Jésus ressuscité. […] Par la joie ou par la peine, Quand nous passons chaque jour, C’est ta voix qui nous entraîne Sur les pas de ton amour. »[22]
Le chant ne détourne pas de l’engagement, il le nourrit. On sait par exemple l’importance du chant pour les esclaves noirs dans les plantations aux Etats-Unis, les spirituals qui leur donnaient courage, espérance, force de lutte, foi dans le Dieu qui, comme au temps des hébreux esclaves en Egypte, se soucie des siens, des faibles, des écrasés, les accompagne dans leur détresse et leur résistance, combat pour eux et avec eux les forces du mal.
Quand nous chantons, nous louons Dieu, nous nous réconfortons les uns les autres, et nous sommes entraînés à partager le chant de vie qui nous anime. A chanter notre confiance dans le Dieu de Jésus-Christ, notre compagnon d’espérance et de vie. A réenchanter le monde. Pas dans le sens d’un monde magique, merveilleux, mais dans le sens d’un monde où le chant de Dieu, son amour et sa joie, se donnent à vivre. Pour que ce monde vive d’un chant nouveau. Non plus le chant des guerres et des injustices, des violences et des détresses, du mensonge et du vide, mais le chant de la vie, de la paix, de la justice, de la solidarité, de la place faite à tous et à toutes, de l’avenir possible, de l’espérance joyeuse. Un contre-chant. Ou plus exactement un chant contre tout ce qui détruit. Un chant qui construit.
Chanter est l’expression de notre foi dans le souffle de l’Esprit, souffle qui nous éveille et nous envoie, chaque fois renouvelés. « Chantez un chant nouveau », est-il dit dans plusieurs Psaumes[23]. Un chant nouveau. Un chant renouvelé. Un chant vivant. Un chant de vie.
Ainsi le Psaume 33 : « Chantez en son honneur un chant nouveau, jouez la plus belle musique en l'acclamant. Ce que le Seigneur dit est sans détour, tout ce qu'il fait est solide et sûr. Il aime la justice et le droit. La terre est pleine de sa bonté. »[24]
Que notre chant d’aujourd’hui renouvelle cette terre, porte en elle la justice et le droit que le Seigneur nous inspire, l’emplisse de bonté. Que le chant de Dieu chante à travers nos chants, à travers nos vies !
Amen.
[1] WA 30/II ; 696, 1ss. Cité par Jean-Denis Kraege, « Luther théologien de la musique ». Études théologiques et religieuses, 1983/4. p. 449-463.
[2] Culte du soir.
[3] Cité par Charles Hesselbacher, Le cinquième évangéliste. Jean-Sébastien Bach, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1937.
[4] Extraits de la Préface au Psautier, 1543. Texte original dans Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, 1852, No. 5/6, p. 143-147.
[5] Marc 14, 26.
[6] Luc 20, 42 ; 24, 44.
[7] Exode 15.
[8] Juges 5.
[9] Auteur de nombreux Psaumes.
[10] Psaume 137.
[11] Psaume 126.
[12] Luc 1, 46-55.
[13] Luc 2, 13-14.
[14] Marc 14, 26.
[15] Actes 16.
[16] Apocalypse 5, 9-10 ; 14, 3.
[17] Ephésiens 5, 19.
[18] Colossiens 3, 16.
[19] Sophonie 3, 17.
[20] Préface au Psautier, op. cit.
[21] 2 Samuel 11.
[22] Cantique 449 (recueil Arc-En-Ciel), 33-21 (recueil Alléluia).
[23] Psaumes 33, 3 ; 40, 4 ; 96, 1 ; 98, 1 ; 144, 9 ; 149, 1.
[24] Psaume 33, 3-5.