La grâce du chat — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

La grâce du chat

Copyright : David Kohler

Texte de la prédication du dimanche 22 décembre 2024, par le pasteur Christian Baccuet

 

La grâce du chat

 

Prédication du dimanche 22 décembre 2024, par le pasteur Christian Baccuet

 

Lectures bibliques : 

  • Luc 1, versets 39 à 45
  • Romains 1, versets 16 et 17

Matin : baptême de Maloë, 2 ans, et Eliott, 3 mois.

 

 

La « grâce » du « chat ». C’est un pléonasme !

Plusieurs d’entre nous ont un chat et savent qu’un chat est plein de grâce. C’est un être de charme et d’indépendance, un mélange de stress et de calme, de jeu et de sommeil, d’intelligence et de mystère, de caresses et de ronronnement, de relation et de tendresse. Les chats nous observent, et se posent sans doute beaucoup de questions. Par exemple :

 

1. Où est le chat dans les textes bibliques ?

Bonne question ! Il n’y a pas de chat dans le récit que nous méditons aujourd’hui, celui de la rencontre entre Elisabeth et Marie, dans un petit village de Judée, chez Elisabeth et Zacharie son mari, un prêtre. Le texte biblique ne parle pas de chat, mais il me plaît de penser qu’un chat a assisté à la rencontre entre ces deux femmes, Elisabeth enceinte contre toute logique, car trop âgée, et Marie enceinte contre toute logique, puisqu’elle n’a pas eu de relations avec un homme. S’il a existé, le chat du rabbin – pardon, du prêtre Zacharie ! – a dû sourire devant cette rencontre qui défie la logique, comme tout élan de vie défie les rationalités trop précises, les fatalités trop ancrées. Sourire ému devant la vie qui surgit quand tout semble fermé.

Ronronnement de joie devant ces deux femmes. L’une, Elisabeth, a dans son ventre un fils qui s’appellera Jean, et que l’on connaît sous le nom de Jean Baptiste car, une trentaine d’années plus tard, il appellera les gens à se faire baptiser pour marquer un changement de manière de vivre, une vie plus juste à la lumière du salut de Dieu qui vient[1]. L’autre, Marie, attend elle aussi un fils, qui s’appellera Jésus, et que Jean, une trentaine d’années plus tard, désignera comme le Christ, le Messie, celui qui vient au nom de Dieu, et qui baptisera non pas d’eau mais dans l’Esprit saint et le feu[2], dans la présence de Dieu et la force de l'Evangile.

Merveilleuse scène où, quand Marie salue sa parente, l’enfant d’Elisabeth bondit de joie dans son ventre. Le futur Jean Baptiste, dernière figure de l’ancienne alliance, dernière figure prophétique, désigne déjà celui qui est la présence de Dieu attendue depuis des générations, celui qui va ouvrir une nouvelle ère. Cette magnifique scène est le passage de relai entre l’ancienne et la nouvelle alliance. L’ancienne n’est pas mise de côté, elle trouve son accomplissement. Elle est « ancienne » dans le sens de la mémoire, de la sagesse, de ce qui porte la « nouvelle ». Et la nouvelle alliance ne remplace pas l’ancienne, elle est la réalisation de son espérance. Ancienne et nouvelle alliance se tiennent ensemble, comme les deux cousins dans le ventre de leurs mères, et c’est la source d’une bonne nouvelle.

Bonne nouvelle pour Elisabeth et Marie qui n’y sont pour rien ; c’est venu sur elles, venue en elles. Les paroles d’Elisabeth résonnent encore aujourd’hui, quand elle dit à Marie, qu’elle appelle « la mère de mon Seigneur » : « Dieu t'a bénie plus que toutes les femmes et sa bénédiction repose sur l'enfant que tu portes ! ».

Il s’agit d’un accomplissement. Jésus arrive comme le fruit de la parole de Dieu, comme l’accomplissement de l’espérance des générations qui l’ont précédé, comme réalisation de l’attente séculaire. Les gens attendaient le Messie, et le voilà qui vient.

Si un chat était présent, ses moustaches ont sûrement vibré ! Il a d’ailleurs une autre question à nous poser :

 

2. Vous, aujourd’hui, qu’attendez-vous ?

Nous avons beaucoup d’attentes, au fond de nous. Une vie heureuse, des relations saines, un monde juste, une terre de paix, un avenir serein… Mais il y a loin de nos attentes à leur réalisation. Dans les faits, beaucoup de vies sont dures, et chaque semaine une nouvelle catastrophe tombe sur notre monde. Notre monde est loin d’être enchanté. Comme le disait Dietrich Bonhoeffer, nous ne vivons pas dans les « réalités dernières » – celles du Royaume de Dieu – mais dans les « réalités avant-dernières », c’est-à-dire au cœur du monde et de sa réalité. Au cœur d’un monde où on n’attend plus rien car on ne croit plus vraiment à rien. Nous sommes désabusés, et à force de ne plus croire en rien, ni dans les paroles et les promesses, ni dans l’avenir, ni même dans la bonté humaine, nous nous replions sur nous-mêmes, basculant dans l’indifférence ou le cynisme pour nous protéger des désillusions. Nous nous centrons sur nous-mêmes, et l’autre devient vite insupportable.

Je ne veux pas ici donner une vision négative du monde, qui serait l’ombre dont l’Evangile aurait besoin pour briller, dans une opposition classique et mortifère entre, d’un côté, le monde mauvais et, de l’autre, la foi bonne. Cette opposition n’a pas de sens bibliquement, car dans la Bible la foi n’est pas fuite du monde mais vie dans ce monde. Mais force est de constater la brutalité de ce monde, et nos vies s’en protègent en se repliant sur elles-mêmes. Il y a bien des élans de générosité et de partage, heureusement, mais nous risquons toujours de basculer dans la méfiance, voire l’hostilité aux autres. Nous regardons souvent la réalité – et les autres – d’un mauvais œil.

Je trouve écho de cela dans une histoire racontée par Jésus, dans l’évangile de Matthieu. Elle est connue sous le nom de « parabole des ouvriers de la onzième heure »[3]. C’est l’histoire d’une attente, et de l’accomplissement de cette attente.

Sur la place d’une ville, des ouvriers attendent qu’un patron vienne les embaucher pour la journée. Contexte de précarité. A la première heure du jour, un homme passe et en embauche quelques-uns pour qu’ils aillent travailler dans sa vigne, avec le salaire normal de l’époque, une pièce d’argent pour une journée de travail. A la troisième heure – environ 9 h du matin –, le patron revient et en embauche d’autres, avec la promesse d’un salaire juste. Il fait de même à la sixième heure – midi – puis à la neuvième heure – 3 h de l’après-midi. Vers la fin de la journée, à la onzième heure – une journée en compte douze –, il passe encore sur la place et embauche tous ceux qui restent.

A la fin de la journée, il paye les ouvriers. Il commence par les derniers, qui n’ont travaillé qu’une heure, et leur donne un salaire d’une pièce d’argent, le salaire juste d’une journée de travail, celui qui était convenu avec les ouvriers de la première heure. Ceux-ci se réjouissent car ils pensent qu’ils vont recevoir douze fois plus que ce qui était convenu, puisqu’ils ont travaillé douze fois plus. Le patron leur donne leur salaire, celui qui était convenu, une pièce d’argent. Les voilà déçus, c’est la même somme que les ouvriers qui n’ont travaillé qu’une heure !

J’entends ici une question du chat…

 

3. Ne trouves-tu pas cela injuste ?

Cela paraît injuste, en effet. C’est le sentiment qu’ont les ouvriers de la première heure ; cela est injuste au regard des heures passées, dans une logique de récompense et de mérite. Ces ouvriers n’ont pourtant pas été lésés, car ils reçoivent ce qui était convenu et qui est bien le salaire normal pour une journée de travail.

Si on déplace notre regard vers les ouvriers de la dernière heure, est-ce injuste ? Certes, ils n’ont travaillé qu’une heure, mais c’est que personne n’était venu les chercher. Pendant onze heures, ils ont attendu sur la place, sans doute en désespérant de plus en plus au fur et à mesure que les heures passaient, à l’idée de ne pouvoir avoir, aujourd’hui, le salaire journalier qui permet de vivre. Attente longue et insupportable. Et à la fin, le salaire qui permet de vivre. Peu importe les heures passées à travailler ou à attendre, la justice c’est ici que chacun reçoive ce dont il a besoin pour vivre.

C’est une parabole, donc une histoire racontée par Jésus pour que nous y trouvions un sens pour nos vies. Une parabole qui parle du Royaume de Dieu. Elle nous dit que Dieu vient inlassablement chercher ceux qui attendent sur la place et, dans sa bonté, donne à chacun ce dont il a besoin, non pas en fonction de ce qu’il a fait ou non, mais en fonction de sa bonté. C’est une parabole de la bonté de Dieu.

Cette bonté n’est pas toujours facile à admettre. « Es-tu jaloux parce que je suis bon ? », demande le maître de la vigne à un des ouvriers de la première heure. Littéralement : vois-tu d’un « mauvais œil » ? « Mauvais », dans le grec, c’est πονηρός (poneros), le même terme que nous prions chaque dimanche dans le « Notre Père » : délivre-nous du « mal »[4]. Appel à changer de regard, à regarder d’un œil la bonté de Dieu. Appel à recevoir dans cette parabole la joie d’un Dieu qui nous cherche, nous attend, nous donne son amour non pas en fonction de ce que nous sommes ou avons été, ce que nous croyons bien ou mal, la durée de notre vie de foi, la fréquence de notre venue au culte, les heures passées à travailler avec lui. Ce Dieu qui donne son amour comme un don et non comme un dû. Ce Dieu qui considère chacune, chacune, selon les critères de son amour, même, et peut-être surtout, les derniers, les petits, les exclus, les fragiles.

C’est ce que nous appelons la grâce de Dieu, ce don gratuit qui ne dépend pas de nos mérites mais se donne à profusion comme un cadeau inconditionnel. Au cœur de notre foi, se trouve l’affirmation de la grâce seule de Dieu, sola gratia en latin. Dieu ne nous aime pas parce que nous faisons, accumulons, gagnons des mérites, mais parce qu’il nous aime. La justification de l’amour de Dieu ce n’est pas nous, c’est Dieu.

Tel est le sens premier du baptême des petits enfants : le signe de la grâce inconditionnelle de Dieu. Cela n’a pas de sens de se demander si Maloë et Eliott croient comme il faut ou font le bien ; cela n’est pas une condition à leur baptême. Le baptême est le signe de l’amour que Dieu leur porte avant qu’ils le sachent, cet amour qui les accueille avant qu’ils deviennent ouvriers dans la vigne du Seigneur. Sola gratia, grâce seule, grâce inconditionnelle, grâce prévenante, qui nous est donnée totalement. C’est le cœur de l’Evangile, c’est le centre de la foi, c’est la source d’une sereine confiance.

Sola gratia, c’est la justice de Dieu, qui n’est pas comptable mais surabondante. C’est ce que Paul a expliqué dans la Lettre aux Romains. La bonne nouvelle, écrit-il, est que Dieu veut le salut de tous, et cela ne dépend pas que nous soyons justes ou non : c’est lui qui nous rend justes, qui nous fait justes, qui nous justifie. « Justice passive », disait Martin Luther, justice que l’on reçoit et non que l’on produit. Justice qui se vit dans la foi.

« Tu es heureuse : tu as cru que le Seigneur accomplira ce qu’il a annoncé », dit Elisabeth à Marie qui n’a rien fait, rien demandé pour que la grâce de Dieu se pose sur elle, se développe en elle. Elle croit, tout simplement. Au sola gratia fait écho le sola fide. La foi seule. La grâce est le don de Dieu, sa présence. La foi, c’est la confiance que cela crée en nous, la confiance que Dieu nous aime malgré nous, ouvriers de la première, de la troisième, de la sixième, de la neuvième ou de la onzième heure. La foi, ce n’est pas d’abord une affaire de mots et de doctrine, de valeurs et d’engagements. C’est fondamentalement une confiance reçue, vécue, partagée. Se savoir aimé par Dieu malgré nous, malgré ce que nous faisons.

Mais j’entends le chat s’agiter. Je crois qu’il a une question fondamentale à poser ici.

 

4. Si Dieu nous aime malgré ce que nous faisons, alors nous pouvons faire n’importe quoi… n’est-ce pas trop facile ?

Objection majeure, à laquelle l’apôtre Paul a répondu dans sa Lettre aux Romains. Si nous pensons que cela déresponsabilise, c’est que n’avons pas vraiment compris. La foi est « réponse », elle appelle donc à la « responsabilité ». La confession de foi, les engagements ne sont pas des préalables à la grâce de Dieu, ils en sont les fruits. L’amour véritablement reçu ne conduit pas à faire n’importe quoi, il donne la sérénité qui permet la confiance, la justice, le partage. Pour le dire autrement, nous ne sommes pas aimés parce que nous sommes aimables, nous sommes aimables parce que nous sommes aimés. Nous ne faisons pas le bien pour être aimés, mais parce que nous sommes aimés.

C’est en étant enveloppés de l’amour inconditionnel de leurs parents que Maloë et Eliott pourront s’épanouir, et pas dans la crainte de ne pas mériter cet amour. Il en est de même vis-à-vis de Dieu, qui nous accueille pour nous donner à vivre dans une confiance qui se traduit en choix de vie et d’engagements, en travail dans la vigne du Seigneur – ce monde –, chacun à sa manière mais dans la même assurance, non plus dans la jalousie parce que Dieu est bon mais dans la reconnaissance pour cette bonté sur nous et sur les autres.

Dieu nous rend justes, c’est-à-dire bien ajustés à lui, et alors ajustés à nous-mêmes et aux autres. Alors nous pouvons vivre l’écho de ce qui s’est déroulé il y a deux mille ans dans un petit village de Judée, dans la maison de Zacharie et Elisabeth, quand cette grâce du Dieu qui vient à nous en Jésus-Christ et cette foi qui fait bondir de joie Jean se sont rejointes et ont ouvert un temps nouveau, notre temps. Temps de la confiance et du partage. La grâce seule, bonté de Dieu, source de vie, attente accomplie, espérance à réaliser en nous et autour de nous. S’entendre dire aujourd’hui, comme Marie : « Tu es heureux, tu es heureuse : tu as cru que le Seigneur accomplira ce qu’il a annoncé ».

Une question encore, le chat ? Ce sera la dernière !

 

5. Mais pourquoi as-tu introduit un chat dans cette prédication ?

Parce que le chat est l’image de la grâce seule.

Ainsi l’exprime le professeur André Gounelle : Quand un chaton court un risque, la mère chatte se précipite, le prend par la peau du cou, l’emporte dans un lieu sûr, et le met hors de danger sans qu’il coopère. Il lui arrive même de se débattre. Sa mère fait tout le travail. Nous avons là une parabole du salut tel que le comprend le protestantisme classique »[5].

Je ne sais pas s’il y avait un chat lors de la rencontre entre Elisabeth et Marie, entre Jean et Jésus. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui nous sommes invités à être comme des chats, témoins de cette rencontre, témoins de la confiance que nous donne de vivre et partager. Des êtres un peu mystérieux, à la fois sages et joueurs, parcourus de stress et capable de sérénité, indépendants et aimant la tendresse, portés par la grâce de Dieu et invités à la confiance.

Alors, puisque Dieu est venu parmi nous, ronronnons de plaisir !

Amen.

 

[1] Luc 3, 1-14.

[2] Luc 3, 15-17.

[3] Matthieu 20, 1-16.

[4] Matthieu 6, 13.

[5] André Gounelle, Protestantisme, Paris, Publisud, 1992, p. 74.