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La nuit n'est jamais complète

Texte de la prédication du dimanche 13 octobre 2024, par le Pasteur Christian Baccuet.

 

La nuit n’est jamais complète

Prédication du dimanche 13 octobre 2024, par le Pasteur Christian Baccuet.

 

Lecture biblique : 1 Samuel 3

 

 

« La nuit n’est jamais complète.

Il y a toujours, puisque je le dis,

Puisque je l’affirme,

Au bout du chagrin

Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille,

Désir à combler, Faim à satisfaire,

Un cœur généreux,

Une main tendue, une main ouverte,

Des yeux attentifs,

Une vie, la vie à se partager. »

 

Nous venons d’entendre ce magnifique poème de Paul Eluard, qui résonne comme une affirmation d’espérance au cœur de la nuit et du chagrin.

 

1. Du cœur de la nuit à la lumière du matin

Nous sommes souvent plongés dans la nuit, dans nos vies personnelles comme dans celle de l’humanité. Entourés de violences, de guerres et de haine à travers le monde et au cœur même de la région où l’histoire biblique se déroule, où Jésus a vécu, parlé, relevé des vies, est mort et ressuscité. Ecrasés par les souffrances qui nous entourent, viols et agressions sexuelles, injustices et misère.  Inquiets pour l’avenir de notre planète. Et dans nos vies, soucis et poids, deuils et maladies, douleurs et culpabilité.
La nuit semble complète.

La nuit est complète dans le récit de la vocation de Samuel. Le récit se passe dans la nuit. Le prêtre Héli est âgé, il est presque aveugle. Il dort, et Samuel dort aussi. La nuit règne dans le sanctuaire.

Elle règne au dehors aussi, car les choses vont mal en ce temps-là en Israël. Nous sommes aux alentours de 1060 avant JC, à Silo dans le territoire de la tribu d’Ephraïm. Le sanctuaire de Silo est tenu par le prêtre Héli et ses fils, mais ses fils se comportent très mal. Ils sont prêtres mais ne se préoccupent pas de Dieu, dit le chapitre précédent. Ils détournent à leur profit une partie des offrandes des fidèles, et ils violent les femmes qui sont de service à l’entrée du sanctuaire. Ils font du mal aux autres et profanent ainsi Dieu. La nuit règne dans leur vie, ils éteignent la vie d’autres et ils obscurcissent la Parole de Dieu.

Plus largement, c’est une période où la nuit règne pour tous. Le texte précise qu’« il était rare que le Seigneur parle directement à un être humain ou qu'il lui accorde une vision ». Et Samuel, qui est au service du prêtre et vit dans le temple, « ne connaissait pas encore personnellement le Seigneur, car celui-ci ne lui avait jamais parlé directement jusqu'alors. »

La nuit est complète dans ce récit, et cela fait écho à notre monde et à nos vies. Cela résonne au pied de la croix, ce poteau dressé au cœur de l’histoire, où Jésus, la présence de Dieu parmi nous, a été crucifié, éliminé par la violence des pouvoirs et des haines. La croix, ce lieu où, en son Fils, Dieu est au plus près de nous qu’il puisse être, dans la solitude, l’abandon, la peur, la souffrance et la mort.

La nuit est complète il y a trois mille ans dans le sanctuaire de Silo et dans tout le pays. Elle est complète le vendredi saint, quand, nous rapportent les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, au milieu de la journée, alors que Jésus va mourir, l’obscurité se fait sur tout le pays. Elle est complète aujourd’hui dans notre monde. La nuit est complète. Ou presque, puisque dans la nuit du sanctuaire de Silo, dans la nuit des êtres humains, dans la nuit du monde, « la lampe du sanctuaire brûlait encore. »

Telle est la situation au début du récit biblique. Et à la fin, nous dit le texte, Samuel, le matin venu, « ouvrit les portes du sanctuaire ». Le jour s’est levé et il fait rentrer la lumière. Lui qui ne connaissait pas personnellement le Seigneur dit la parole de Dieu au prêtre Héli. Puis, selon les versets qui suivent, devenu grand, Samuel va être prophète, continuer à recevoir les paroles de Dieu pour les transmettre dans tout le pays. Et la suite de l’histoire le montrera tenir le rôle de celui à qui Dieu se manifeste, celui par qui Dieu donne sa parole au peuple. Finies les violences des fils d’Héli, c’est maintenant le temps où Dieu se révèle.

Cela résonne au matin de Pâques. A la croix, les ténèbres sont tombées sur la terre, mais le troisième jour le soleil se lève et le tombeau est vide, la parole se répand, le ressuscité attend ses disciples ailleurs, en Galilée où se mêlent toutes les cultures, les langues, les religions, pour que l’Evangile de lumière soit annoncé sur toute la terre, pour chaque personne. La nuit n’est jamais complète, il y a toujours « au bout du chagrin, une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée… Une vie, la vie à se partager » !

Au début du récit de la vocation de Samuel, la nuit est presque complète ; à la fin, la lumière de la parole de Dieu est pour tous. Mais que s’est-il passé entre les deux ? Que se passe-t-il pour que nous puissions passer de la nuit à la lumière, du chagrin à la vie, de la croix à la résurrection ?

Dans le récit de la vocation de Samuel, trois dimensions me touchent.

 

2. Patience de Dieu

La première, c’est la patience de Dieu.

La Parole de Dieu est rare mais il est présent. Ne pas l’entendre ne veut pas dire qu’il n’est pas là, même au creux du silence. Dieu est patient, quand il appelle Samuel. Car cela prend du temps avant que Samuel comprenne que c’est bien lui qui est appelé. Cela dure une bonne partie de la nuit ! Trois fois, Samuel fait un aller-retour entre l’endroit où il dort et où il a entendu quelqu’un l’appeler, et l’endroit où Héli dort, puisqu’il croit que c’est Héli qui l’a appelé. Trois fois. Ce n’est que la quatrième fois que, sur le conseil d’Héli, il va comprendre que c’est Dieu qui lui parle.

La patience de Dieu me touche. Il revient inlassablement à la charge, discrètement, au risque de la méprise, jusqu’à ce que sa parole soit enfin entendue, reçue, comprise. Cette patience de Dieu est bonne nouvelle pour notre lenteur à comprendre. Bonne nouvelle dans notre temps où, comme à celui de Samuel, la parole de Dieu est rare ; où, en tout cas, nous l’entendons rarement, peut-être parce qu’il y a trop de bruits, de paroles vides et fausses, d’agitation, de traversées dans tous les sens. Parfois cela prend toute la nuit, toute la vie, avant qu’une parole résonne pour nous comme parole de Dieu. Tant que nous n’avons pas compris que c’est Dieu qui nous parle, c’est encore la nuit. Dieu et patient, il nous appelle et nous appellera sans cesse, tant qu’il faudra. Le temps de Dieu n’est pas comme notre temps, toujours court, urgent immédiat. Dieu ne fonctionne pas dans le « tout, tout de suite ». Dieu est patient et là se tient notre espérance.

Là se tient aussi notre patience. Même si nous désirons entendre Dieu nous parler, ce n’est pas automatique, ce n’est pas sur commande. Cela ne surgit pas quand nous le voulons, car Dieu ne se donne pas forcément à entendre de manière spectaculaire. Il faut du temps, parfois, pour cheminer, mûrir… Comme Dieu est patient, il nous faut, à rebours de notre époque, retrouver le sens du cheminement, du temps long, du mûrissement. Et puis un jour on comprend et on répond, et cela est très bon !

 

 3. La parole vive

Le deuxième aspect de ce texte, qui me touche, c’est la première parole que Dieu dit à Samuel, quand celui-ci est disponible à l’entendre. Il lui dit la parole la plus importante qui soit, la plus profonde, la plus essentielle. Il lui dit : « Samuel, Samuel ! ». Il l’appelle par son nom. Etre appelé par notre nom est pour nous toujours fort, car on sait que c’est soi-même qui est appelé. Dans le monde biblique, c’est encore plus fort car le nom dit toute l’identité d’une personne. Samuel entend que c’est toute sa personne qui est nommée, qui est invitée à entrer en relation avec Dieu. Cette nuit-là, c’est Samuel en personne qui est appelé. Dieu le connait.

Dieu connait chacun, chacune de nous. Chacun, chacune de nous est unique à ses yeux, précieux à son cœur. Nous, on classe les gens par genre, par âge, par catégorie socio-professionnelle, par nationalité. On donne aux gens des numéros, on fait d’eux des statistiques. On les considère comme des objets. Dieu, lui, appelle par le nom, personnellement. Il connait notre histoire, notre vie, nos poids et nos espérance. Il fait de chacun un sujet, un être de dialogue, une personne invitée à entrer dans la parole. C’est toujours lui qui nous appelle en premier. Parfois on l’entend, parfois non, mais toujours il est là. Il fait toujours le premier pas, nous invitant à faire le deuxième

Dieu appelle : « Samuel, Samuel »… et Samuel répond : « Parle, ton serviteur écoute ». Le dialogue initié entre Dieu et Samuel va faire de Samuel un être de parole. Une personne chargée de la parole de Dieu. Une personne chargée de porter la parole de Dieu à d’autres. Un prophète. Le dialogue n’enferme pas Samuel, il l’ouvre à d’autres. La parole de Dieu est contagieuse.

Elle n’est pas toujours facile. Elle peut être rugueuse. Elle est dure dans le récit d’aujourd’hui. La parole que Samuel va devoir transmettre est parole de condamnation pour Héli et ses fils. Elle est en même temps bonne nouvelle pour toutes les victimes des fils d’Héli. Colère indispensable, parole nécessaire contre l’injustice, parole de vie pour celles et ceux qui vont être délivrés.

Dieu nous appelle, il nous parle. Quand nous l’entendons, il fait de nous des porteurs de sa parole. Cette parole n’est pas une parole en l’air mais une parole qui nous engage dans le monde, colère contre les injustices, compassion et justice pour les victimes.

 

4. Une communauté de discernement

Mais, troisième dimension, comment savoir que c’est Dieu qui nous parle ?

La place d’Héli, dans ce texte, est très touchante. C’est un homme usé, en bout de course, en échec. Ses fils se comportent mal, il les laisse faire, son aveuglement n’est pas que physique. La prêtrise, fonction alors héréditaire, va être enlevée à sa famille. Il a tout pour redouter la parole de Dieu. Mais c’est grâce à lui que la parole de Dieu résonne. C’est lui qui finit par indiquer à Samuel que c’est sans doute Dieu qui l’appelle et qui l’invite, la prochaine fois, à répondre « parle, Seigneur, ton serviteur écoute ». C’est lui qui aide Samuel à entendre la parole de Dieu. Il le fait humblement, en laissant cela dans la relation entre Dieu et Samuel, sans s’en mêler, sans venir interférer, sans vouloir contrôler, sans vouloir faire l’intermédiaire. Il n’est pas propriétaire de la parole de Dieu, il est un simple passeur. Mais quel cadeau que ce relai !

Et puis quand Samuel a reçu la parole de Dieu, parole qui condamne Héli et ses fils, il aide Samuel à la lui dire : ne me cache rien. Il n’étouffe pas cette parole, il ne cherche pas à reprendre la contrôle dessus, à manipuler Samuel. Il le pousse à parler, il reçoit cette parole et il l’accepte : « Il est le Seigneur, qu’il fasse ce qu’il juge bon ». Il a aidé Samuel à entendre que c’est Dieu qui l’appelait. Et, grâce à Samuel, il reçoit à son tour la parole qui lui est destinée.

Seuls, nous sommes souvent démunis pour entendre la parole de Dieu, et encore plus pour la porter à d’autres, pour nous engager dans ce monde, pour devenir témoins. Nous avons besoin d’autres. Et nous pouvons être cet autre pour quelqu’un. C’est cela l’Eglise. Communauté d’hommes et de femmes de différentes générations, de différentes expériences, de différentes compréhensions de Dieu, qui s’aident mutuellement à discerner. Et même quand nous nous sentons à bout, même quand nous semblons en échec, même quand nous sommes presqu’aveugles, nous pouvons être des témoins de la Parole de Dieu. C’est formidable !

Cela commence dans la nuit et cela finit par l’ouverture des portes au matin. Cela commence par la rareté des paroles de Dieu et cela finit par les nombreuses manifestations de Dieu. Cela commence par un vieux prêtre usé et cela finit pas un homme qui a aidé un autre à entendre la parole de Dieu et qui l’écoute à son tour. Cela commence par un jeune qui ne connaît pas Dieu et cela finit par une vocation de prophète. Cela commence dans le silence du temple et cela finit par la parole adressée à tout le peuple. Cela commence dans la solitude de la croix et cela s’épanouit dans l’universel de la résurrection !

« La nuit n’est jamais complète.

Il y a toujours, puisque je le dis,

Puisque je l’affirme,

Au bout du chagrin

Une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille,

Désir à combler, Faim à satisfaire,

Un cœur généreux,

Une main tendue, une main ouverte,

Des yeux attentifs,

Une vie, la vie à se partager. »

Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

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