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Le centre de l'univers

Texte de la prédication du dimanche 11 juin 2023, par le Pasteur Christian Baccuet

 

Le centre de l’univers

 

Pentemont-Luxembourg, 11 juin 2023

Prédication du pasteur Christian Baccuet

 

Matin : avec des participants au Colloque « Raconter les vivants : la Bible en perspective éco-poétique » (Réseau de recherche en narratologie et Bible)

Soir : baptême d’Edgar (24 jours)

 

Lectures (textes du jour) :    

  • Deutéronome 8, 1-20
  • 1 Corinthiens 10, 16-17
  •  Jean 6, 51-58

 

 

Savez-vous quel est le centre de l’univers ?

C’est moi !

Excès de narcissisme ? Ou constat lucide ? En tout cas c’est un vrai problème !

Quand je dis « moi », ce n’est pas pour vous dire que tout tourne autour de moi ; c’est pour constater que je ne vois et pense le monde qu’à partir de moi, de mon point de vue, de ma situation historique, culturelle, géographique. Le monde est autour de moi, alors j’en suis le centre.

Quand je dis « moi », je veux dire que nous, en tant qu’êtres humains, doués de pensée et de savoir, nous vivons le monde depuis notre point de vue. Nous avons une vision anthropocentrée, l’être humain au centre. Et concevoir l’être humain comme étant au centre, au sommet, le seul doué de parole et de pensée, c’est justifier son droit à utiliser, piétiner, piller la nature et les autres êtres vivants, ce dont nous ne nous privons pas. Nous en faisons un usage utilitariste, les considérant comme des biens de consommation, des objets et pas des êtres vivants.

Et nous savons que cela nous conduit à la catastrophe. Nous dominons le monde, nous l’exploitons, nous le détruisons. Inutile de développer ici, tous les experts le disent. C’est tellement grave, que nous préférons être dans le déni : "tout cela est exagéré, et l’on trouvera bien des solutions techniques pour continuer à avoir toujours plus" ; on sait bien que ces arguments sont faux, mais on y croit quand même. Et puis on nous a longtemps enseigné que ce n’est pas notre faute. C’est Dieu qui nous a fait à son image, Dieu qui nous a placés comme maîtres de sa création. Toute la Bible nous dit le choix que Dieu a fait de s’intéresser à nous. C’est lui qui nous met au centre de l’univers. On ne va pas nous le reprocher, quand même !

Et là, je voudrais dire merci. Un triple merci.

Merci aux organisatrices du colloque « Raconter les vivants : la Bible en perspective éco-poétique » du Réseau de recherche en narratologie et Bible », qui s’est tenu pendant trois jours à l’Institut protestant de théologie, au Centre Sèvres et à l’Institut catholique de Paris et qui se termine par ce culte. Leur présence nous invite à regarder les textes bibliques en y étant attentifs à la place des vivants non-humains.

Merci à la liste des textes du jour – bien que longues et complexes –, car les lectures proposées pour ce dimanche nous ouvrent les yeux sur cette dimension, nous appellent à penser autrement le centre de l’univers.

Et merci à Anne-Sophie et Turner pour le baptême de leur fils Edgar, si petit, si confiant, qui nous ramène à notre fragilité et à notre espérance.

Merci, parce que cela nous décentre. Cela décentre notre lecture de la Bible, et donc notre regard sur nous. Et, dans cette perspective, ce qui me touche dans les textes de ce jour, c’est la place tenue par les vivants non-humains.

 

1. Le vivant non-humain

Le texte du Deutéronome que nous avons lu est fondamental. C’est un texte qui se place, dans le récit biblique, au cœur du moment fondateur pour la foi des Hébreux. Il se situe vers la fin du long séjour des Hébreux dans le désert, au XIIIe siècle avant notre ère. Quarante ans auparavant, ils sont sortis de l’esclavage en Egypte, sous la conduite de Moïse. Ils sont parvenus à la liberté, mais le chemin est long vers la terre promise. Les voilà presque au bout de ce chemin.

Ce bout du chemin, cette espérance d’une vie débordante, dans la paix et la fécondité, est promesse de vie : des torrents, de l'eau de nombreuses sources, du blé et de l'orge, la vigne, le figuier, le grenadier, l’huile d'olive, le miel, le pain, du fer, du cuivre, des troupeaux, de la nourriture en abondance… Prospérité inouïe, pour ces hommes et ces femmes qui ont vécu dans le désert depuis quarante ans, parmi, ainsi que le dit le texte, des serpents venimeux et des scorpions, sur une terre aride.

Il y a beaucoup de vivant non-humain dans ce texte, animaux et plantes, et cela dit la réalité de notre monde et de nos vies. Le bien et le mal, la paix et le danger, l’épreuve et l’arrivée, un chemin aride et une terre promise. L’histoire humaine se passe au cœur de la création, dans sa dureté comme dans ses promesses. Le vivant non-humain est comme l’humain, contrasté, en tension. Il ne s’agit pour nous ni de lui dénier sa valeur, ni de le déifier. Le recevoir, comme compagnon de nos mauvais jours et de nos belles journées. Compagnon, celui qui nous accompagne, qui chemine avec nous, sans qui nous ne serions pas ce que nous sommes.

Parmi ces vivants non-humains, il y en a deux qui sont particulièrement importants dans ce texte.

L’eau, que Dieu a fait jaillir du rocher quand le peuple avait soif dans le désert, l’eau indispensable à la vie, l’eau donnée par Dieu pour redonner confiance à ce peuple en souffrance, l’eau signe de la sollicitude et de la présence de Dieu. L’eau qui, dans le baptême, symbolise le passage de la mort à la vie, de l’esclavage à la liberté, de la croix au matin de Pâques, comme une promesse faite à Edgar tout à l’heure, comme un cadeau de vie pour lui.

Et la manne, cette matière mystérieuse –  מָן (man), en hébreu, cela veut dire « c’est quoi ? »[1] – que les Hébreux trouvaient chaque matin pour nourriture pour leur journée, en en ayant chacun la quantité dont il a besoin, sans pouvoir la stocker, la recevant en toute confiance comme don de Dieu. La manne, signe de la Providence de Dieu ; pas de son intervention permanente, mais, étymologiquement, de sa prévoyance, son regard en avant, ce Dieu qui pourvoit à leurs besoins[2].Du Dieu qui se soucie d’eux et les amène vers demain, qui prend soin d’eux aujourd’hui pour les ouvrir à l’avenir.

L’eau et la manne. Deux éléments de vie que nous ne pouvons pas fabriquer, que nous recevons, signes de confiance dans un don qui nous est fait, de foi dans une présence autre que la nôtre, marque de notre dépendance, de notre fragilité, de notre précarité. Décentrement libérateur par rapport à nous-mêmes. Il y a d’autres que nous-mêmes, les beaux fruits de la terre promise, les serpents de l’épreuve, l’eau et la manne de la vie, Dieu.

Nous ne pouvons pas rester anthropocentrés !

 

2. Souviens-toi et écoute

Mais un danger nous guette, c’est d’oublier cela. C’est le danger qui guette les Hébreux à l’entrée en terre promise. C’est le danger contre lequel Dieu, dans notre texte, les met en garde.

Il se pourrait, en effet, que dans l’abondance, ils oublient leur fragilité, leur dépendance. Il se pourrait que leur confiance en Dieu se transforme en confiance en eux-mêmes. Il se pourrait que l’orgueil s’empare d’eux. Il se pourrait qu’ils se tournent vers d’autres dieux.

Il se pourrait… et c’est hélas ce qui est arrivé. Nous sommes enflés d’orgueil, tournés vers les dieux richesse, argent, consommation, toute-puissance, à qui nous sacrifions tout et qui nous rendent esclaves avant de nous détruire.

Alors Dieu s’adresse à eux, il s’adresse à nous avec deux appels fondamentaux. Souviens-toi ce que tu as traversé, ce que tu as vécu, ta précarité, ce que tu as reçu, garde mémoire de ta fragilité. Et écoute mes commandements, mets en pratique mes paroles, mes conseils, vis ma présence. Si tu oublies d’où tu viens et qui t’accompagne, si tu oublies l’épreuve et la promesse, alors tu vas tout perdre. Si tu penses que tu as atteint la prospérité par tes seules forces, tu vas oublier les autres et te retrouver tout seul.

Combien cela résonne avec notre situation contemporaine, quand la terre promise devant nous se transforme, par nos actions, en terre brûlée, désert aride !  Tu vas détruire la planète, et alors, que te restera-t-il, si ce n’est ta solitude et ta mort ?

Pour vivre, fais mémoire et écoute. Fais place à un autre que toi-même, à Dieu. Fais place à d’autres que toi-même, à tes frères et sœurs humains, aux vivants non-humains, à toutes les créatures de Dieu. Fais-leur place, c’est-à-dire réduis la tienne ! Décentre-toi !

Ce n’est pas une morale d’austérité qui est donnée par Dieu, ce n’est pas un chemin triste et gris, c’est la voie du bonheur, pour vivre, être chez soi sur cette terre, avoir un avenir, pouvoir transmettre, être à sa juste place.

 

3. Compagnons du vivant

C’est un appel à la responsabilité. Cela peut paraître difficile aujourd’hui, écrasant même devant l’ampleur et l’urgence des enjeux. Mais, comme autrefois dans le désert Dieu a donné l’eau et la manne, aujourd’hui encore il nous donne sa présence, sa force, sa vie. Il se donne à nous.

C’est ce que Jésus dit dans l’évangile de Jean : « Je suis le pain vivant qui descend du ciel », c’est-à-dire la vie qui vient de Dieu, la présence de Dieu, la parole de Dieu. Manger ce pain, c’est vivre, c’est prendre en soi cette vie, s’en nourrir, s’en épanouir. Être dans la vie éternelle, la résurrection, la vie pleine et abondante.

Cette présence du Christ parmi nous, pour nous, se donne particulièrement à vivre pendant la Cène. Ce repas fait mémoire du dernier repas de Jésus avec ses disciples avant sa mort sur la croix. Il fait écho au premier repas de ressuscité avec ses disciples. Il fait mémoire de toutes les fois, depuis Pâques, que ce repas a rassemblé des frères et des sœurs autour de Jésus, en sa présence. Et en communion les uns avec les autres, comme l’écrit Paul aux Corinthiens, à ces chrétiens qui avaient tant de peine à vivre la vie communautaire, la place faite aux autres, la solidarité : vous communiez au même pain, vous êtes donc du même corps, le corps du Christ. Communier n’est pas un acte autocentré, mais fondamentalement une mise en relation avec d’autres, une communion, une communauté : nous sommes compagnons du Christ, compagnons les uns des autres – étymologiquement « com-pagnons », « du même pain », « co-pains ».

Le repas du Seigneur fait de nous un seul corps, l’Eglise, malgré nos divisions et nos prétentions, avec nos différences et nos fragilités, par-delà les règles humaines qui ferment et séparent. Ce repas nous décentre et nous élargit. En Christ il n’y a plus ni Juifs ni grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes ni femmes, écrivait Paul aux Galates (3, 28). On pourrait poursuivre : il n’y a plus ni protestants ni catholiques, ni tout autre division humaine. Et pourquoi pas : il n’y a plus ni êtres humains ni vivants non-humains.

Paul écrivait en effet aux Romains (8, 19-21) que c’est la création entière qui attend avec impatience la révélation de Dieu, la création qui aura part à la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Et à la fin de l’évangile de Marc (16, 15), Jésus, après sa résurrection, dit à ses disciples : « Allez dans le monde entier annoncer la bonne nouvelle à toute la création ». La création, c’est-à-dire l’ensemble des créatures, bien au-delà de nous.

En Christ, les vivants non-humains, créatures de Dieu, sont aussi nos compagnons de vie, indispensables pour nous et si vulnérables. Tous nous sommes un en Christ. Le Christ est fondamentalement inclusif.

Nous voilà appelés à vivre cette inclusivité, à retrouver notre juste place dans cette création dont Dieu nous a confié la responsabilité, à prendre soin des autres créatures, de nos frères et sœurs vivants non-humains, pour vivre ensemble dans notre univers commun, pour former ensemble la communauté terrestre. Répondre à cet appel pour que notre avenir soit viable, mais aussi par fidélité à la Parole de Dieu, à sa présence, à son projet.

Alors, où est le centre de l’univers ? Si je comprends bien la Parole de Dieu, ce n’est pas moi ! Me voilà déplacé, ouvert, élargi à la réalité qui me dépasse, m’entoure, me précède et me suit : l’ensemble de la création de Dieu. Nous voilà appelés à sortir d’une vision anthropocentrée du monde, à élargir notre regard à toute la création, à vivre en solidarité avec toutes les créatures. Nous voilà appelés à voir le monde par les yeux de Dieu, à faire mémoire de sa fidélité, à suivre sa Parole, à recevoir la manne, le pain vivant descendu du ciel, le Christ vivant, à être le corps du Christ à l’échelle de l’univers. Nous voilà appelés à être dans le cœur de Dieu, dans une vision non plus anthropo-centrée du monde (nous au centre), mais théo-centrée (Dieu au centre), christo-centrée (Christ au centre), centrée dans l’Esprit saint.

Et, joyeux paradoxe de l’Evangile, ne plus se mettre au centre mais laisser Dieu au centre, c’est se retrouver… au centre de son amour, au cœur de sa présence, non plus tout seul mais avec les autres et pour les autres, humains et non-humains !

Quelle joie !

Amen.

 

 

 

 

[1] Voir ma prédication du 12 mai 2019 : https://www.epupl.org/spiritualite/la-parole/predications-du-pasteur-christian-baccuet/mangez-des-questions-apport-journalier-recommande

[2] Du verbe latin providere : voir en avant, prévoir, pourvoir à.