"Vivre en 4D"
Vivre en 4 D
Marc 12, 28b à 34a
Jean 7, 37a à 39
1 Pierre 3, 18-22
Luc 9, 46-50
Pentemont-Luxembourg, 3 novembre 2024.
Prédication du pasteur Christian Baccuet.
Matin : baptême de Pyrène, 13 mois, et de Garance, 21 mois.
Vous connaissez la 3 D : pour qu’un objet soit en relief, il faut 3 dimensions. Du vertical, de l’horizontale et de la profondeur. Et si notre vie était en 3 D ?
C’est que nous proposent les textes que nous venons de lire. J’ai demandé aux parents de Garance et de Pyrène de me dire s’il y avait un ou deux textes bibliques qu’ils avaient envie d’entendre en ce jour du baptême de leurs filles. Les parents de Garance ont proposé les passages de Marc et de Jean, et ceux de Pyrène les passages d’1 Pierre et de Luc. Quatre textes pour une vie en relief !
1. Dimension verticale – foi dans le Père
Première dimension, verticale.
Dans la symbolique biblique, Dieu est associé au ciel. C’est une manière de dire qu’il est plus grand que nous, plus haut que nous. Notre Père qui est aux cieux… Ainsi, dans 1 Pierre 3, 22 : par sa résurrection, « Jésus est allé au ciel et il se tient à la droite de Dieu ». Dire que Jésus est au ciel ne le situe pas géographiquement mais dit qu’il est en Dieu.
Et s’il est en Dieu, « au ciel », cela nous fait lever la tête. Cela nous relève. Le mot « résurrection » qui est employé dans ce passage est le terme grec ἀνάστασις (anastasis), qui signifie « se lever », « se dresser ». La résurrection, c’est être mis debout.
Mais où est le ciel ? Le ciel n’est pas ailleurs. Il commence ici. Il est autour de nous. Nous sommes déjà dans le ciel. Déjà avec Dieu ! La relation avec Dieu n’est pas distante, c’est une relation de proximité. Une relation d’amour.
C’est ce que dit le texte de Marc (texte du jour !). Quel est le premier commandement ? Réponse de Jésus : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta pensée et de toute ta force. » Jésus cite ici Deutéronome 6, 5, un texte qui se situe au cœur de l’épisode biblique fondateur, en plein cœur de la traversée du désert, quand les esclaves hébreux opprimés en Egypte depuis plusieurs générations ont été libérés par Dieu par l’intermédiaire de Moïse ; cela n’est pas facile, c’est une longue marche, 40 années. La liberté est un combat parfois long et éprouvant. Au cours de ce parcours, Moïse transmet la Loi de Dieu, les paroles, les indications, les règles qui permettent de rester libre, de ne pas retomber en esclavage, qui permettent d’être ensemble et pas chacun dans son coin. Au cœur de cette Loi, ce magnifique commandement d’amour.
Le terme « commandement » peut semble contradictoire avec le terme « amour ». On ne peut commander à quelqu’un d’aimer, on ne peut nous obliger à avoir des sentiments. Une précision est importante ici.
Le grec ancien, langue dans laquelle le Nouveau Testament est écrit, a trois verbes principaux pour dire « aimer ». Le verbe φιλέω (philéo) dit l’amour dans sa dimension d’amitié et de tendresse. Le verbe ἐράω (erao) dit l’amour sentiment amoureux, passion et désir. Et le verbe ἀγαπάω (agapao) – et le mot ἀγάπη (agapè), amour –, qui disent un lien fort, une relation volontaire faite de partage, d’accueil et de mise en commun. C’est le verbe qui est utilisé ici. Un amour qui est de l’ordre de la décision, d’un choix de vie, d’un engagement, la volonté de construire ensemble, de développer la justice, la solidarité, le respect, l’attention à l’autre.
Ainsi le terme « commandement » ne résonne pas comme une contrainte mais comme un appel à entrer dans un lien vivant. La vie. La vie possible dans l’amour pour Dieu, parce que Dieu nous aime. Il nous aime le premier, de manière inconditionnelle. S’il y avait des conditions ce ne serait plus de l’amour mais une récompense, un salaire, un dû une menace. C’est un cadeau, c’est une grâce. Dieu nous aime et nous sommes appelés à l’aimer. Pas comme un devoir moral mais comme la résonnance de son amour en nous.
C’est le sens du baptême, qui prend toute sa signification dans celui de petits-enfants comme ce matin. A Garance et à Pyrène, le baptême dit « Dieu t’aime, toi, personnellement, et te voilà appelée à vivre de cet amour, de cette relation de confiance et de liberté ».
C’est pour cela que nous nommons Dieu « Père ». Dans l’expérience humaine, le père peut être une figure écrasante, absente, destructrice. Dans la foi, elle dit que Dieu est un Dieu qui aime et aide à grandir. Elle ne dit pas que Dieu est masculin – Dieu est au-delà de nos représentations –, elle dit son amour. Voilà pourquoi Garance et Pyrène ont été baptisées « au nom du Père ».
Tu aimeras le Seigneur de toute ta vie. C’est là le premier commandement, le principal, celui que qui tout se fonde. C’est ce qui nous permet de tenir debout, droit, relevé dans la vie.
2. Horizontal – amour du prochain
Cette dimension, symboliquement verticale, croise une dimension symboliquement horizontale, celle de la relation entre les êtres humains.
Jésus associe au commandement d’amour de Dieu celui de l’amour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il cite Lévitique 19, 18, un verset qui se situe lui aussi au cœur de la traversée du désert. Comme le premier commandement, il est issu de la Loi de Moïse reçue sur le chemin de la liberté. Comme lui, il est promesse de vie. Comme lui, il est appel à la justice, l’équité, la solidarité envers l’autre, le « prochain », celui dont je m’approche, celui qui s’approche de moi, celui que je rencontre. Comme lui, il est fondamental. Il n’y a pas qu’un seul commandement, il y en a deux étroitement liés, amour de Dieu et amour du prochain.
Commandement essentiel, car naturellement on est plutôt hostile à l’autre. On sait que si on met deux bébés ensemble avec de nombreux jouets, ils vont se disputer pour un seul d’entre eux, pour le posséder, pour avoir le pouvoir sur l’autre. Cela résonne dans le texte de Luc, quand les disciples se questionnent : lequel d’entre nous est le plus grand ?
J’aime les disciples, car ils sont comme nous. Ils cheminent avec Jésus tous les jours, ils l’entendent, ils le voient agir, et ils ne comprennent pas. Au lieu de s’aimer les uns les autres, ils sont en rivalité de préséance, de pouvoir, de domination. Jésus a alors ce très beau geste de prendre un enfant près de lui : recevoir cet enfant, c’est me recevoir, et me recevoir c’est recevoir Dieu, dit Jésus. Dans la culture de son temps, un enfant n’était pas intéressant en soi, il ne devenait important qu’après qu’il ait la capacité de lire et interpréter l’Ecriture. Prendre l’exemple d’un enfant, c’est se montrer comme un petit, un exclu. Dieu en Jésus-Christ se présente dans cette simplicité.
Et la conséquence, c’est que les liens entre les humains ne passent par la verticalité de la domination mais par la simplicité horizontale de relation d’égal à égal, de prochain à prochain. Relation mutuelle d’être les plus petits les uns des autres, non pas écrasés, humiliés, mais humbles et vrais, au service les uns des autres. Dans une relation de réciprocité : tu aimeras ton prochain « comme toi-même ». Cette vérité d’amour est celle de Jésus, qui nous a dit la proximité simple de Dieu avec nous. Dieu au ciel mais venu partager notre vie, nos épreuves et nos joies pour nous entraîner dans la force de l’amour.
C’est là aussi une dimension importante du baptême. Garance et Pyrène ont désormais leur place entière dans l’Eglise. Dans cette communauté de foi, parmi ces disciples balbutiants que nous sommes, appelés à nous aimer les uns les autres, invités à nous aider les uns les autres à nous aimer mutuellement !
Pas une communauté exclusive, fermée sur elle-même. Une communauté ouverte au monde, aux autres, et qui se réjouit des autres. C’est ce à quoi appelle Jésus, dans l’extrait de Luc. Le disciple Jean s’étonne que quelqu’un, en dehors de leur groupe, chasse les démons – dans la symbolique biblique, cela veut dire lutte contre le mal. Un autre que nous, ailleurs, fait le bien ? Cela est vite insupportable, et les disciples cherchent à l’empêcher de le faire ! Ils veulent garder pour eux l’exclusivité de la bonne nouvelle, quitte à bloquer des forces de vie ! La réponse de Jésus est claire : « ne l’en empêchez pas ». Laisser faire, laissez vivre, laissez la vie déborder. Laissez l’amour se répandre !
Amour qui se trouve dans une dimension horizontale comme conséquence de la dimension horizontale. Relation au prochain et relation à Dieu, ensemble. Pas l’une ou l’autre, mais les deux articulées l’une à l’autre. Deux dimensions qui se croisent… comme une croix ! La croix, symbole de cet amour de Dieu à nous et de nous à Dieu, et de cet amour les uns pour les autres. La croix, signe de Dieu en Jésus-Christ. Sa proximité de souffrance avec nous, comme l’écrit Pierre. Et cet appel de vie qui nous relève. Le crucifié et le ressuscité. De la mort à la vie. Lui et nous. C’est le symbole de l’eau pendant le baptême, signe de la mort et de la vie, signe de la suivance du Christ mort et ressuscité, signe de vie. Voilà pourquoi Pyrène et Garance ont été baptisées « au nom du Fils ».
La vie en 2 D !
3. Profondeur – le temps de l’espérance
En 3 D plutôt, car à la foi en Dieu et à l’amour du prochain s’articule une troisième dimension : l’espérance. Dans les textes de ce jour, il est question de cette espérance, manifestée par l’importance du temps.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ta personne, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Vous avez remarqué que le verbe « aimer » n’est pas conjugué à l’impératif : « aime ! ». Il n’est pas une injonction : « tu dois aimer ». Il est au futur : « tu aimeras »[1]. Un jour, tu seras capable d’aimer ! C’est-à-dire qu’il donne une direction, il est une promesse. Voilà ce qui te tire en avant. Voilà ce qui te relève. C’est une invitation, un appel, une parole dynamique.
L’homme qui a compris cela « n’est pas loin du règne de Dieu », dit Jésus. Il n’y est pas encore, car nous sommes dans notre humanité complexe, déchirée, dans ce monde souffrant et souvent désespérant. Mais orientés par le règne de Dieu, par cette espérance d’un temps où ce monde vivra en plénitude avec lui. Et si tout semble indiquer le contraire, nous sommes invités à vivre dans cette proximité d’espérance. A vivre le temps dans une perspective de vie.
Dans la lettre de Pierre, il est fait référence à Noé, à ce temps lointain, mythique et fondateur, où malgré la catastrophe du déluge, Noé et les siens, dans le bateau qu’ils avaient construit, ont pu traverser l’épreuve – pas 40 ans dans le désert mais 40 jours de déluge – et en ressortir vivants pour une nouvelle création, une vie nouvelle sur la terre. Signes de résurrection. Image du baptême, cette traversée de l’eau qui débouche sur la vie nouvelle. Qui donne « une bonne conscience » (v. 21), ce qu’il faut entendre non pas comme une autosatisfaction mais comme la juste place par rapport à Dieu, par rapport aux autres, tout au long de sa vie.
C’est une troisième dimension du baptême : ce don d’amour de Dieu signifié à Pyrène et Garance, leur insertion pleine et entière dans l’Eglise, est portée par l’espérance qu’en grandissant elles puissent avoir la joie d’en vivre. Sur cette route, nous sommes des jalons pour elles, vous leurs parents, parrains et marraines en première ligne, mais aussi chacun de nous présents dans ce temple. Nous ne sommes pas seuls avec cette responsabilité ; Dieu chemine avec nous, il nous donne sa présence, son souffle son Esprit. Voilà pourquoi Garance et Pyrène ont été baptisées « au nom du Saint-Esprit ».
Nous sommes baptisés « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Dans la foi, l’amour et l’espérance. Pour une vie en relief, une vie en 3 D !
4. Quatrième dimension : vivre et partager
En 3 D… ou plutôt en 4 D ! Car il y a encore une dimension importante avec tout cela, avec toute la richesse de la foi, de l’amour, de l’espérance : c’est d’en vivre. Que ce ne soit pas un objet statique, une théorie, un rêve, une fuite, des belles paroles, du vent, mais une réalité incarnée, un quotidien renouvelé, un bonheur de chaque jour. Croire, aimer, espérer, comme une force de vie quotidienne, qui rend heureux, et qui se partage, pour que d’autres puissent en vivre aussi, et que notre monde soit un peu meilleur. Comme l’eau d’une source qui coulerait sur nous pour nous rafraichir, en nous pour nous désaltérer, par nous pour se répandre pour d’autres.
C’est ce que dit la magnifique parole de Jésus dans l’évangile de Jean : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ; celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive jailliront de son cœur » ! Alors, que pour Pyrène et Garance, et pour chacun de nous, le Christ donne à boire l’eau vive de la foi, de l’amour et de l’espérance. Et que du cœur de Pyrène, du cœur de Garance, du cœur de chacun de nous, jaillisse des fleuves d’eau vive !
Amen.
[1] Grec : ἀγαπήσεις.